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Le jeu du Fort-Da équivalent d’un fantasme

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La leçon clinique de Freud

En 1920, Freud invente l’observation analytique de l’enfant à l’atelier du Fort-Da[1]

L’activité énigmatique et sans cesse répétée de son petit-fils, lui livre un savoir qu’il articule en trois temps. Alors que l’enfant jetait loin de lui tous les objets dont il pouvait se saisir en émettant une expression de satisfaction Oooo, qui n’était pas une interjection mais signifiait Fort [parti], il utilisait ses jouets pour jouer à parti. Jetant alors avec adresse la bobine enroulée d’une ficelle, il assistait à cette disparition prononçant un Oooo.

La rattrapant, il saluait sa réapparition par un joyeux Da [voilà]. C’était là le jeu complet de disparition et retour, présence-absence, inlassablement répété, le grand plaisir de l’enfant s’attachant au deuxième acte.

Mais Freud en ajouta un troisième quand il saisit, un jour où la mère s’était longtemps absentée, qu’elle fut saluée à son retour par le message Bébé…Oooo, d’abord inintelligible. L’enfant avait découvert son image dans un miroir qui ne descendait pas jusqu’au sol, de sorte que, lorsqu’il s’était accroupi, cette image était « partie », il s’était fait disparaître lui-même. [2]

L’enfant naît au langage

« Ce sont ces jeux d’occultation que Freud, en une intuition géniale, a produits à notre regard pour que nous y reconnaissions que le moment où le désir s’humanise est aussi celui où l’enfant naît au langage [3] », écrit Lacan. L’enfant s’engage dans le langage par le discours de l’Autre, en reproduisant approximativement les vocables qu’il en reçoit. Le couple de signifiants Fort-Da fonctionne comme un battement signifiant là / pas là, illustration de la chaîne signifiante réduite ici à son minimum symbolique. « Ne l’oubliez jamais, le signifiant n’est pas là pour représenter la signification, bien plutôt est-il là pour compléter les béances d’une signification qui ne signifie rien. [4] »

Cette observation analytique éclaire quasi expérimentalement l’avènement d’un sujet, comment l’inscription dans la chaîne signifiante [Fort-Da] produit un sujet, l’opération du signifiant, pas sans l’extraction d’un objet. La réalité de l’enfant est supportée d’un objeu, qui lui donne son cadre. Le sujet est produit comme réponse du réel à l’absence de l’Autre, à la castration de l’Autre, réponse à « la béance introduite par l’absence dessinée, et toujours ouverte [5] », au pied de son lit, là où il porte son regard.

Le Fort-Da : la réponse du sujet au réel créé par l’absence de l’Autre

L’ensemble du jeu symbolise la répétition « mais non pas du tout celle d’un besoin qui en appellerait au retour de la mère. [6] ». Cette absence a creusé à la frontière du domaine de l’enfant un fossé – c’est-à-dire un réel – autour duquel il n’a plus qu’à faire le jeu du saut. Ce fossé c’est le manque inexorable, le malentendu fondamental, la marque du rapport réel que le sujet entretient avec l’Autre. C’est un vide, un moins que l’on peut aussi bien écrire le (- phi) de la castration. La mère est le Repräsantanz de cet Autre qui émerge de ce réel. Son signifiant émerge de ce fossé. [7]

Le Fort-Da matrice du fantasme

Ce que nous enseigne, à cet égard, le Fort-Da, c’est que le sujet est, foncièrement ce qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant, mais qu’il est aussi à la place occupée par l’objet a, quand il ne peut pas être représenté par le signifiant. L’objet a ne représente pas le sujet, il ne renvoie pas à un autre objet, c’est une pure présence. Lacan a rendu compte du fantasme à partir de là, à cet égard nous pouvons voir dans le Fort-Da la matrice du fantasme. Le Fort-Da illustre ce moment où le sujet rencontre un manque dans le signifiant, un manque à se représenter qui le confronte à un manque-à-être ; il en appelle alors à un élément du registre imaginaire. Mais derrière cet appel à l’imaginaire, c’est un élément réel qui vient et qui insiste à la place, « qui fait le vrai soutien, la consistance de l’image spéculaire de l’appareil du moi [8]. »

L’envers du Fort-Da comme moyen de jouissance

Freud s’était interrogé sur cet attrait manifesté par le sujet pour la répétition du temps de déplaisir [9]. C’est ce que Lacan a appelé jouissance, pointant dans la répétition du signifiant Fort une marque équivalente à celle que le sujet cherche à recevoir ou à s’infliger lui-même. « Il faut une marque sur le corps qui peut aller jusqu’à la destruction pour en extraire une homéostase, un déplaisir exquis. [10] »

Le signifiant Fort provoque et commémore à la fois une irruption de jouissance. Par ce représentant, le sujet garde la mémoire de la perte et le comblement du retour. Ce S1 est l’équivalent du trait unaire que Lacan a qualifié de mémorial de jouissance [11], qui ne se retrouve pas. Le trait unaire introduit la dimension de la jouissance sous la double forme de la nostalgie liée à la perte et de la quête de la récupération. Cette déperdition est un effet mécanique de la prise du corps dans le langage. C’est dans cette tentative de récupérer un petit quelque chose que le sujet va plutôt produire une perte, en recherchant un plus-de-jouir.

Le Fort-Da, figure de rhétorique

Lacan a d’abord prêté au jeu une fonction de maîtrise du départ de la mère. « C’est tout le système qui se présente comme s’il était inné que l’enfant joue, à propos d’un départ de sa mère avec […] l’énoncé Fort-Da. C’est là que tout s’insère. C’est déjà, ce Fort-Da, une figure de rhétorique [12] ». L’art du langage l’emporte sur le réel, tentant de l’éliminer. L’incantation signifiante donne un semblant de présence au réel de l’absence de l’objet, ici la mère. L’important, ce n’est pas la porte par où elle s’en est allée que l’enfant regarde, c’est le point d’où il la voit partir, là où elle l’a laissé, véritable fenêtre que son absence révèle, et qui reste dès lors la cause d’un tracé centrifuge. [13]

L’objet bobine et la mère ne sont que le tenant-lieu du réel auquel l’enfant est confronté, l’exclu du sens. Ici l’ab-sens incarné par la porte que franchit la mère, ouvre à la création signifiante que le sujet va produire, ce qu’elle comporte de fiction, voire de fixion, face à ce hors-sens. Il n’aborde pas le monde par la réalité, mais à partir du réel. « Cela a affaire avec la structure, laquelle s’appareille. L’être humain, […] l’humus du langage, n’a qu’à s’apparoler à cet appareil-là. [14] » « La réalité [de l’absence de l’Autre] est abordée avec les appareils de la jouissance. [15] » Si le langage se pose comme appareil, le jeu du Fort-Da nous enseigne que la jouissance s’appareille grâce à la parole, au signifiant et à l’objet.

 

  1. Freud S., « Au-delà du principe de plaisir », Essais de psychanalyse, Petite bibliothèque Payot, p. 52.
  2. Freud S., « Au-delà du principe de plaisir », op.cit., p. 53.
  3. Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, 1966, pp. 318-319.
  4. Lacan J., Le Séminaire, Livre iv, La relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Le Seuil, Paris, 1994, p. 330.
  5. Lacan J., Le Séminaire, Livre xi, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Le Seuil, Paris, 1973, p. 60.
  6. Lacan J., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op.cit., p. 61.
  7. Lacan J., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op.cit., p. 60.
  8. Lacan J., Le Séminaire, Livre xvii, L’envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Le Seuil, Paris, 1991, p. 55.
  9. Freud S., « Au-delà du principe de plaisir », op. cit., p. 55.
  10. Miller J.-A., Présentation de L’envers ou La psychanalyse mise à nu par son célibataire, Cahier de la section clinique Bordeaux, 20 juin 1992.
  11. Ibid.
  12. Lacan J., « Conférence aux Américains », Columbia University, le 01.12.75, in Scilicet 6/7, Seuil, Paris 1976, p. 47.
  13. Lacan J., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op.cit., p. 60.
  14. Lacan J., L’envers de la psychanalyse, op. cit., p. 57.
  15. Lacan J., Le Séminaire, Livre xx, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Le Seuil, Paris, 1975, p. 52.
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