Une petite voix

Avec son roman jeunesse Le fantôme de Suzanne Fougères, Marie Desplechin met en valeur comment les choses familières peuvent devenir étrangement inquiétantes, effrayantes[1]. Ines, 11 ans, l’héroïne du roman est aux prises avec une expérience étrange : elle entend une voix.

La voix surgit alors qu’Ines peste au sujet d’un costume de fantôme pour Halloween « Tout le monde s’en fiche, des fantômes.[2] » C’est là qu’Ines a entendu un murmure réprobateur : « Tu ne devrais pas parler comme ça, c’est pas gentil… [3] » Le lendemain, au cours de la visite au cimetière, « c’est revenu[4] » devant une tombe, celle de Suzanne Fougères morte au même âge qu’Ines. La voix se manifeste alors par « un petit rire moqueur. [5] » Cette expérience étrange, « C’était comme dans un rêve. Mais ce n’était pas la nuit.[6] »

La voix se manifeste par des bruissements, des chuchotements, des pleurs, ou encore des suppliques. Ines est d’abord terrifiée, s’agite, et craint que ses grands-parents ne la prennent pour une folle si elle leur en parle. Elle essaie de décourager la voix omniprésente, essaie de toutes les façons possibles de s’en déprendre, en vain.

Or la voix n’est pas méchante. La « petite voix [7] » cherche une amie. Curieuse, Ines y consent et apprivoise la « créature avec une voix à elle, […] une vie à elle, une vie réelle. [8] » Elle se prénomme Suzanne, 115 ans. Sa présence fantomatique se manifeste par un brouillard, un joli petit nuage, qui à l’occasion s’évapore de chagrin, ou encore par des tremblements, des déplacements d’air, ou des tempêtes quand Suzanne s’emporte. L’entourage d’Ines s’étonne de l’entendre parler le soir seule et suppose qu’elle parle à une « amie imaginaire. [9] » Sur fond d’Histoire, de perte et de retrouvailles, Ines et Suzanne, vont partager une « aventure parfaitement magique. [10]»

La « joie de l’artiste à créer, à donner corps aux formations de sa fantaisie [11] » est palpable dans ce roman. En effet, M. Desplechin souligne qu’« on a tous une manière de vivre avec des présences qui ne sont pas forcément les présences qui sont à côté de nous, avec nos souvenirs, nos fantômes, avec notre imaginaire. Le rapport à la réalité est très flou. [12] » Avec l’univers fantastique, M. Desplechin aborde cette étrange porosité entre rêve et réalité non sans humour et subtilité.

Des phénomènes étranges peuvent surgir suite à une perte, une disparition : entendre la voix de l’être disparu, l’écho de sa propre voix, ou entendre une voix autre, étrangère. Dans le cas où les présences et voix intérieures se font menaçantes et font souffrir un enfant, la rencontre avec un psychanalyste peut lui donner chance de traiter ces phénomènes inquiétants et terriblement angoissants, de construire ses propres modalités de traitement du phénomène, afin que la voix « subsiste dans une modalité tempérée.[13] »

 

 

 

 

[1] Freud S., L’inquiétante étrangeté et autres essais, Gallimard, Paris, 1985.

[2] Desplechin M., Le fantôme de Suzanne Fougère, L’école des loisirs, Paris, 2024, p. 6.

[3] Ibid., p. 6.

[4] Ibid., p. 14.

[5] Ibid., p. 7.

[6] Ibid., p. 6-7.

[7] Ibid., p. 24.

[8] Ibid., p. 25.

[9] Ibid., p. 78.

[10] Ibid.

[11] Freud S., Le malaise dans la culture, PUF, collection Quadrige, 1995, p. 22.

[12] Propos de Marie Desplechin recueillis lors de la conversation du 30 novembre 2024 à Lyon avec Laure Naveau, psychanalyste membre de l’ECF.

[13] Miller-Rose E., « Manœuvrer avec l’impossible », Hebdo-blog, n° 327, 11 février 2024, publication en ligne.

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