Maryse et ses « cho-cho »

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La relation entre le sujet et l’Autre n’est pas donné d’emblée mais se constitue au fur et à mesure de son surgissement ; ce à partir de deux points : qu’un sujet soit posé comme hypothèse[1] et que le sujet veuille prendre « place dans l’Autre » pour reprendre la jolie formule de Christelle Sandras[2]. « Comment le sujet […] se constitue comme sujet […] pour se faire représenter par des signifiants ?[3] » En quoi ce passage participe-t-il de la naissance du désir ?

Prenons appui sur la cure de Maryse avec Rosine Lefort[4] pour préciser cela.

 

Faire le pari du sujet

Maryse, 26 mois, a subi un sevrage brutal à ses 4 mois, moment où elle est séparée de sa mère psychotique. Après 17 changements de lieu de vie, elle arrive à Parent-de-Rosan où le diagnostic d’ « arriération avec hospitalisme[5] » est posé. Un traitement bref est proposé avec Rosine Lefort. Cette offre de rencontre pourrait créer une demande et ainsi faire émerger un sujet.

 

Mélodie fredonnée, signifiant traumatique

Assez rapidement après le début des séances, Maryse chantonne. Ce qui n’est pas encore un signifiant qui lui soit propre est la trace du petit sujet vivant qui jouit.

Rosine Lefort reconnaît la mélodie et chante les paroles « fais dodo Colas mon petit frère, fais dodo t’auras du lolo ». Le signifiant « lolo » produit un choc sur Maryse qui se redresse avec un air grave et regarde anxieusement Rosine. Ce signifiant « lolo » qui vient percuter Maryse est en lien avec la perte brutale de l’objet oral.

« Lolo », S2 venu de l’Autre, a un effet traumatique car énoncé par Rosine Lefort avant que Maryse ait pu formuler un S1 préalable. De ce fait, il ne permet pas un effacement du S1 et une déperdition de jouissance mais fait « jouissance de l’Autre.[6] »

 

Lalangue

Quelques séances plus tard, Maryse dit « cho-cho-cho » en frottant sa couche et son tablier, jargonne et répète « choc-cho-cho » devant le pot. Ce signifiant vient de Maryse, c’est une invention qui ne signifie rien, un S1, un signifiant de lalangue.

« Lalangue sert à de toutes autres choses qu’à la communication. C’est ce que l’expérience de l’inconscient nous a montré, en tant qu’il est fait de lalangue, […] lalangue dite maternelle, et pas pour rien dite ainsi.[7] » Elle se constitue dans un « tissage serré entre les paroles, les sons, les gestes, les expressions et la jouissance[8] » et est « marquée du caractère premier du signifiant de ne rien vouloir dire[9]. »

Rosine Lefort propose à Maryse un signifiant de manière interrogative : « caca », un S2, qui ne peut surgir que de l’intervention de l’Autre et auquel le sujet doit consentir. C’est ce qui permet que ce S2, « caca » puisse s’associer au premier « chochocho ». Maryse paraît enchantée, s’installe sur le pot après s’être fait retirer sa couche, y reste, et répète « caca » sans rien faire. Les séances suivantes, elle prononce un « cho-cho-caca », combinant les deux signifiants. Le signifiant caca prend le pas sur son S1 « cho-cho » qui ne reviendra plus. Dès lors, ce signifiant est perdu. Mais le « caca-cho-cho » signe également la perte de l’objet, la jouissance devient inatteignable car passée au signifiant. Dès lors, Maryse est aliénée à l’Autre du signifiant, ce qui ouvre « le passage […] de la revendication de l’objet à la demande, c’est-à-dire de l’irreprésentable de la pulsion à sa face signifiante, qui s’écrit au deuxième étage du graphe de Lacan : $◊D[10] », et donc le chemin du désir.

Ce qui vient de l’Autre est contingent. La manière dont un sujet investit certains signifiants plutôt que d’autres est déterminante. Lalangue n’est pas seulement reprise des paroles entendues, elle est réponse du sujet face au réel auquel il a affaire et relève d’un choix subjectif.

 

 

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 130.

[2] Sandras C., « Enfant placé, prendre place », disponible sur internet.

[3] Terrier A., réunion du CEREDA du 16 novembre 2024, inédit.

[4] Lefort R. et R., Maryse devient une petite fille, Seuil, Champ freudien, Paris, 1995.

[5] Ibid., p. 19.

[6] Ibid., p. 28.

[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 126.

[8] Rouillon J.-P., « L’inconscient et lalangue », disponible sur internet.

[9] Lefort R. et R. « L’analyse : l’infantile et le féminin », op. cit., p. 101.

[10] Lefort R. et R., Maryse devient une petite fille, op. cit., p. 40.

 

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