Un trousseau pour approcher les rêves

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Dis-moi quelle est ta théorie du rêve et je te dirai quel usage tu en fais dans la cure ou dis-moi ce que tu fais du rêve et je dirai quelle théorie est là, en filigrane, supportant ton action.

Concevoir le rêve comme la voie royale d’accès à l’inconscient comme le propose Freud est une chose ; le traiter comme un pur produit de l’activité électrique du cerveau, c’en est une toute autre.

Pourquoi nous intéresserions-nous aux rêves des enfants dans nos pratiques ? Que faisons-nous des rêves des enfants ? Les interprétons-nous ? Mais qu’est-ce qu’interpréter un rêve ? Et que faisons-nous des cauchemars et autres « troubles du sommeil » ?

Des clefs ?

Dans L’interprétation des rêves – parue en 1900 Freud donne au rêve un statut de production psychique qui a une signification de plein droit. Que les rêves aient un sens n’a rien de nouveau. C’est le lieu du sens qui, avec Freud, fait d’abord la différence. Avant lui, s’il y avait la reconnaissance d’un vouloir dire du rêve, le sens ultime se rattachait à quelque chose en dehors de la vie du rêveur. Une clef des songes, fixe, constante, servait dans l’Antiquité à décrypter ce que le rêve véhiculait comme message (oraculaire, prophétique, visionnaire). Du côté du divin, du côté d’un symbolisme culturel, le sens se trouvait hors du sujet lui-même.

Avec Freud, la clef de la production psychique – le rêve – est remise au sujet qui en fait le récit. Le rêve appartient à celui qui rêve. À cette conception du rêve correspond une pratique analytique : « la technique […] charge du travail d’interprétation le rêveur lui-même.[1] » C’est par les associations libres du rêveur que l’on peut découvrir le sens qui s’y cache. Le sens circule dans les dires mêmes du rêveur. Le rêve devient la voie royale d’accès à l’inconscient.

Inviter les enfants et les adolescents à associer à partir d’un mot, d’un détail, « morceau par morceau[2] », reste un usage toujours d’actualité dans la clinique analytique.

Héritier de la voie ouverte par Freud, Lacan remet la clef au signifiant en soulignant la valeur de phrase du rêve et en distinguant le fonctionnement signifiant. Un rêve est une production langagière, ça se lit : « Qu’on reprenne donc l’œuvre de Freud à la Traumdeutung pour s’y rappeler que le rêve a la structure d’une phrase, ou plutôt, à nous en tenir à sa lettre, d’un rébus, c’est-à-dire d’une écriture.[3] »

Si avec Freud l’analysant rêve et l’analyste interprète, avec Lacan l’analysant rêve et son rêve l’interprète. C’est le rêve qui interprète le rêveur. Le rêve est son interprétation : « L’interprétation de l’analyste ne fait que recouvrir le fait que l’inconscient – s’il est ce que je dis, à savoir jeu du signifiant – a déjà dans ses formations – rêve, lapsus, mot d’esprit ou symptôme – procédé par interprétation.[4] »

L’analyste n’est pas là pour substituer au récit du rêveur, son propre récit, depuis une position qui boucherait le savoir de l’enfant. Son travail de clinicien consiste plutôt à pointer l’interprétation déjà à l’œuvre dans le rêve lui-même, repérer l’objet (voix, regard, oral, anal, rien) et les signifiants majeurs propres et singuliers à l’enfant qui relate son rêve. Cette fois, il s’agit moins d’inviter à associer que de citer, ponctuer – de se positionner de manière à ce que l’analysant reçoive du rêve « son propre message sous [sa] forme inversée[5] » : tu l’as rêvé, c’est bien toi, p’tit d’homme, petit parlêtre que tu es, le sujet de l’énonciation et voici l’objet auquel tu te frottes. « Les rêves de l’enfant, dit Lacan dans Le désir et son interprétation, ont ce caractère d’être à la limite de l’affabulation. Mais justement, si l’enfant le produit et le raconte ainsi, c’est avec le petit e, indice d’énonciation. Il y a quelque chose au-delà de l’énoncé, avec quoi il joue, avec vous, le jeu d’une question, d’une fascination. […] Nous dirons que c’est la formule générale de l’énigme.[6] »

Voilà un autre usage du rêve : un travail d’extraction du sujet et de repérage de l’objet grâce au matériel du rêve.

Songe-creux, creux-songe

Dès 1900, Freud nous fait part de la pierre qu’il rencontre sur la voie royale d’accès à l’inconscient, de la limite du travail d’interprétation signifiante, il appelle cela « l’ombilic du rêve », le lieu où les représentations s’arrêtent. Lacan, notamment dans son Séminaire sur Joyce[7], nous invite à tout reprendre à partir de l’ombilic du rêve, faisant de cet obstacle, une pierre angulaire à partir de laquelle un nouvel usage du rêve se forge, un usage qui ne serait pas(-tout) aliéné au sens.

Au regard de ce trou hors sens – placé comme fondement logique – les sens que l’on donne aux rêves se révèlent comme des hystoires à dormir debout, vérités variables, relatives. Lacan pointe ainsi le côté men-songer du sens. Loin d’inciter les psychanalystes à un quelconque éveil comme peut le faire le mouvement woke, ou de les pousser à revêtir une position cynique (rien n’est que rêve, tout est fake), il nous invite à rester dans le champ de la parole et du langage, dans la scène du rêve, mais pas n’importe comment. Il s’agit de faire un usage du rêve en s’orientant d’un point de réel, en se tenant au plus près de la dimension matérielle du signifiant, seule manière de contrecarrer l’inconscient soporifique.

L’analyste doit ainsi veiller au maintien d’un certain état joycien du rêve. Le rêve, dit Lacan dans ce Séminaire est « un cauchemar tempéré.[8] » Cette nouvelle définition du rêve va de pair avec une nouvelle définition de l’inconscient que Lacan donne et qui vient nous réveiller : l’inconscient est réel, dit Lacan, il est l’impossible à supporter. Dès lors, le rêve est une réponse, une défense contre cet impossible. Ne pas alimenter le sens ouvre à la possibilité d’une lecture littérale de la dimension R.S.I. (à entendre aussi « récit ») du rêve. Cela implique une position du sujet vis-à-vis de lalangue, à rebrousse-poil du sens, vers l’isolation des S1 (signifiants-maitres) qui font trace. Le clinicien parie sur la possibilité d’une nouvelle lecture du rêve qui portera en elle le sceau de l’illisible.

Ainsi, il nous revient d’être gardien de l’ombilic. C’est de faire du trou la clef que la clinique lacanienne des rêves se distingue des autres, c’est son sceau.

Si Freud, puis Lacan, nous invitent à prêter l’oreille aux rêves des enfants, ce n’est pas pour qu’on s’endorme avec.

  1. Freud S., L’interprétation des rêves, Paris, PUF, 1987, p. 92.
  2.  Ibid., p. 97 : « une analyse “en détail” et non “en masse” ». 
  3. Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 267.
  4. Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 118.
  5. Lacan J., « Le séminaire sur ‘‘La Lettre volée‘‘ », Écritsop. cit., p. 41.
  6. Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation (1958-1959), texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière / Le Champ freudien, 2013, p. 166.
  7. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005.
  8. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, op. cit., p. 125 : « tout rêve, est un cauchemar, même s’il est un cauchemar tempéré́. »

 

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