La marque qu’on a dans le rêve

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« C’est du fait d’être né de ce ventre-là, […]

c’est bien d’être né d’un être qui l’a désiré ou pas désiré,

mais qui, de ce seul fait le situe d’une certaine façon dans le langage,

qu’un parlêtre se trouve exclu de sa propre origine.

Et l’audace de Freud dans cette occasion,

c’est simplement de dire qu’on en a quelque part la marque dans le rêve lui-même[1]. »

 

 

Cette citation, trouvée dans la riche et propice bibliographie[2] éditée par nos collègues, est extraite d’une intervention faite à Strasbourg par Lacan en 1975. On y trouve des indications aussi précises que précieuses quant au rapport que le sujet de l’inconscient entretien avec le Symbolique et le Réel. Plusieurs remarques me paraissent particulièrement éclairantes concernant le thème de la prochaine journée d’étude de l’Institut psychanalytique de l’Enfant.

Tout d’abord la place centrale réservée au rêve, qui depuis Freud se distingue comme voie royale vers l’inconscient et processus essentiel du sujet qui se prête au déchiffrement. Freud l’aborde de manière logique, en s’intéressant au récit du rêve que le patient produit pendant la séance analytique et aux associations et interprétations qu’il en fait. Freud souligne en effet, dans le chapitre vii de l’Interprétation des rêves, que les signifiants choisis pour construire le récit du rêve ne sont jamais arbitraires[3]. D’où l’attention portée à ces signifiants qui permettent de mettre en relief le désir inconscient du sujet.

Pourtant Freud constate qu’à partir du récit même que le patient fait de son rêve, souvent deux facteurs viennent s’ajouter à l’opacité des traces qui en sont conservées, laissant toujours béant un point insaisissable. D’abord il affirme qu’en tant que formation inconsciente, le rêve a comme condition fondamentale de détourner le sujet de la racine pulsionnelle qui le détermine. Puis il emploie deux fois le terme « ombilic » pour situer un point ininterprétable du rêve, en corrélation avec le non-reconnu (Unerkannt).

Premièrement dans le chapitre ii, concernant le rêve de l’injection faite à Irma : « Je pressens que l’interprétation de ce fragment n’est pas menée suffisamment loin pour qu’on en suive tout le sens caché. Si je continuais la comparaison des trois femmes, je m’égarerais trop. – Chaque rêve a au moins un point où il est insondable, en quelque sorte un ombilic par lequel il est en corrélation avec le non-reconnu[4]. »

Ensuite c’est dans le chapitre vii que Freud emploi pour la deuxième fois le terme d’ombilic du rêve : « Dans les rêves les mieux interprétés, on doit souvent laisser un point dans l’obscurité, parce que l’on remarque, lors de l’interprétation, que commence là une pelote de pensées de rêve qui ne se laisse pas démêler, mais qui n’a pas non plus livré de contributions supplémentaires au contenu du rêve. C’est alors là l’ombilic du rêve, le point où il repose le non-reconnu. […] D’un point plus dense de cet entrelacs s’élève alors le souhait de rêve, comme le champignon de son mycélium[5]. »

C’est à partir de la notion d’ombilic que Lacan distingue, dans son intervention en 1975, le trou de la pulsion d’un côté et le nœud de l’indicible de l’autre. C’est l’un des apports innovants de cet exposé : l’ombilic du rêve est le stigmate qui exclue le parlêtre de sa propre origine. On retrouve parfois cette trace aussi dans les rêves d’enfants, assignant l’enfant d’une part en tant qu’objet du désir des parents et en même temps indiquant son mode d’affectation par le langage. Or ce nœud se déplace dans la parole, par l’effet même du langage. C’est ce qui permet de parier sur l’énonciation des enfants qu’on reçoit en analyse, pour qu’à travers le récit et les signifiants engendrés par le rêve, un bord puisse se tisser autour de ce trou constitutif du sujet.

C’est par l’attention portée aux dires de l’enfant et par la construction d’un savoir intime qu’il se forge dans cet exercice de parole, que l’interprétation peut viser le désir impossible, caché du rêve, qui le désigne en tant que sujet. La réalité qui s’y construit, prise dans les histoires et fictions que l’enfant élabore à travers ses énoncés, trouvera un cadre plus solide pour loger l’énigme qui le constitue.

Sur le chemin de sa construction subjective, l’enfant qui vient en analyse – en général déjà parlé par un autre – découvre, grâce aux images et aux récits de ses rêves, un au-delà de ce qui le cause et le conditionne dans le désir des parents. Faire place à cette rencontre inclue aussi, spécialement avec les enfants, une place faite aux productions vives et directes qu’ils mettent en scène avec leurs corps.

Ce qui rend ainsi homogène le trou de la pulsion et le nœud de l’indicible est au fond ce même bord dont le contour n’est pas perceptible, mais seulement constructible et dont le travail analytique permet d’en repérer les conséquences. Les rêves constituent alors un moyen privilégié pour attraper ces signifiants qui orientent la logique propre à chaque enfant.

 

 

[1] Lacan J., « L’ombilic du rêve est un trou », Jacques Lacan répond à une question de Marcel Ritter (1975), La Cause du désir, n°102, 2019, p. 36.

[2] Par Agnès Bailly et Beatrice Gonzalez-Renou : https://jie8.institut-enfant.fr/jie8/bibliographie/

[3] Freud S., Œuvres Complètes, tome IV, 1899-1900, Paris, PUF, 2004, p. 567.

[4] Ibid., p. 146, n.2.

[5] Ibid., p. 578.

 

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