Un sujet produit comme effet

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« Le rêve, c’est d’abord l’expérience de la production d’un sujet,
au sens du produit singulier d’un sujet mais aussi au sens
où ça détermine un sujet, ça produit un sujet comme effet.[1] »
Christiane Alberti

 

Dans L’interprétation du rêve, Freud nous indique que « les rêves des petits enfants sont souvent de simples satisfactions de désirs, et dès lors, par opposition aux rêves d’adultes, ne suscitent aucun intérêt. Ils ne proposent pas d’énigme à résoudre, mais ils sont naturellement inestimables pour la mise en évidence du fait que le rêve signifie, dans son essence la plus intime, une satisfaction de désir.[2] » Rappelons que Freud considère le rêve comme ayant une seule fonction utilitaire, celle de prévenir des perturbations du sommeil. Il est un gardien du sommeil et de son maintien. C’est la voie royale d’accès à l’inconscient, à la condition qu’il y ait expérience analytique. Il faut encore qu’il y ait un autre à qui on l’adresse. Il devient alors une énigme à déchiffrer, qui permettra de découvrir quelque chose de son être. Freud fait du rêve un message de notre inconscient à interpréter. C’est une manière cachée que notre désir choisit pour s’exprimer.

 

Le rêve de la petite Anna

Lacan relate ainsi le rêve de la petite Anna : « Ma plus jeune fille  ̶  c’est Anna Freud  ̶  qui avait à ce moment dix-neuf mois, avait eu un beau matin des vomissements, et avait été mise à la diète. Dans la nuit qui suivit ce jour de famine, on l’entendit appeler pendant son rêve :“ Anna F.eud, Er(d)beer, Hochbeer, Eier(s)peis,Papp ! ”

Er(d)beer est la forme enfantine de prononcer ces fraises, Hochbeer veut également dire fraises, Eier(s)peis correspond à peu près au mot flan, et enfin Papp, c’est bouillie. Et Freud nous dit  ̶  Elle se servait donc de son nom pour exprimer sa prise de possession, et l’énumération de tous ces plats prestigieux, ou qui lui paraissaient tels, une nourriture digne de désir.[3] »

Freud analyse le rêve de la petite Anna comme une satisfaction du désir de manger ce que la nourrice lui a interdit : Anna a été privée de ce qu’elle aime manger, par la nourrice, et son rêve lui permet une vengeance par une satisfaction hallucinatoire. Cependant, la suite des mots donne à lire un au-delà. La pulsion en tant que telle, ne peut se dire tout à fait ; c’est ce que les mots de la petite Anna tentent de cerner.

Dans le Séminaire IV, Lacan souligne que : « Rien ne nous force à penser que la petite Anna Freud fut inassouvie ce soir-là, bien au contraire. Ce qui se maintient dans le rêve comme un désir, certes exprimé sans déguisement, mais avec toute la transposition de l’ordre symbolique, c’est le désir de l’impossible. Si vous pouviez encore douter que la parole joue ici un rôle essentiel, je vous ferais remarquer que si la petite Anna Freud n’avait pas articulé cela en paroles, nous n’en aurions jamais rien su.[4] »

Lacan poursuit dans le Séminaire VI, « Le rêve d’Anna nous est donné par Freud pour le rêve de la nudité du désir. Il me semble qu’il est tout à fait impossible, dans la révélation de cette nudité, d’éluder, d’élider, le mécanisme même par où cette nudité se révèle.[5] »

 

Rêve et transfert

Freud repère que, dans les rêves, une part non maîtrisée par le moi se fraie un chemin d’expression. Il y a un scénario qui se déplie, avec des images, que l’on raconte ensuite. En psychanalyse, les rêves sont à prendre en considération avec les mots dits pendant la séance. C’est le récit du rêve qui nous importe et dont on fait usage dans la pratique analytique, comme nous indique Freud : [il s’agit] « de nous soucier le moins possible […] du rêve manifeste.[6] » Les associations ne sont, selon Freud, qu’un préalable à l’interprétation de l’analyste, qui formule « ce que le patient n’a fait qu’effleurer ». Freud indique que nous « complétons les allusions, tirons des conclusions irréfutables, formulons ce que le patient n’a fait qu’effleurer dans ses associations.[7] »

Depuis Freud, nous savons que le rêve, inscrit dans le lien transférentiel, prend toute sa valeur par la chaîne signifiante qui le constitue et que l’on déploie. Le rêve est interprétable, à partir du moment où il est articulé dans le langage et qu’il s’adresse à quelqu’un qui sait en lire quelque chose. Un petit texte de Freud, indique cela très précisément : « nul ne peut exercer l’interprétation des rêves comme activité isolée ; elle reste une part du travail analytique.[8] »

Dans le Séminaire XVI, Lacan précise : « ce qui nous guide, ce n’est certes pas qu’est-ce que ça veut dire ?, et non pas non plus qu’est-ce qu’il veut pour dire cela ?, mais qu’est-ce que, à dire, ça veut ? [9] » Ce qui nous importe n’est pas le sens du rêve, ni la volonté cachée du rêveur, mais ce que veut le rêve dans le dire qui le fait exister. C’est cela l’éthique de la psychanalyse : faire émerger ce que l’inconscient veut. C’est en cela que le rêve interprète le réel. Dans le Séminaire Encore, Lacan précise : « Un rêve, ça n’introduit à aucune expérience insondable, à aucune mystique, ça se lit dans ce qui s’en dit.[10] »

 

 

 

[1] Alberti C., « Rien de plus concret que le rêve, son usage, son interprétation », texte d’orientation au XIIe congrès de l’AMP, « Le rêve. Son interprétation et son usage dans la cure lacanienne », 2020, disponible en ligne.

[2] Freud S., L’interprétation du rêve, Paris, Seuil, 2010, p. 66.

[3] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2013, p. 81.

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, p. 183.

[5] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, op. cit., p. 88.

[6] Freud S., Nouvelles Conférences d’introduction à la psychanalyse, Collection Folio essais, Gallimard, 1984, p. 17.

[7] Ibid., p. 20.

[8] Freud S., « Quelques additifs à l’ensemble de l’interprétation des rêves », Résultats, Idées, Problèmes, t. II, Paris, PUF, 1985, p. 142.

[9] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un autre à l’Autre, Paris, Seuil, 2006, p. 198.

[10] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 88.

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