Gabin, 8 ans, s’inquiète quelques minutes avant d’aller se coucher, car il ne trouve plus son attrape-rêves dans sa chambre. Et si les cauchemars venaient l’assaillir à défaut de ce petit objet protecteur ?
L’attrape-rêves, souvent retrouvé dans les boutiques artisanales ou de souvenirs, est régulièrement offert aux enfants pour les aider à ne pas faire de mauvais rêves. Cerceau suspendu garni de fils et de plumes, la légende des Indiens d’Amérique du Nord veut que l’enfant soit protégé dès le berceau des mauvais esprits présents dans les cauchemars. Ce filet viendrait attraper les mauvais rêves jusqu’aux premières lueurs du jour et laisserait passer les bons rêves pour accompagner l’enfant dans son sommeil. La fable amérindienne raconte que la mère araignée, à l’origine de la fabrication, a transmis son savoir aux femmes du village afin que chaque enfant puisse avoir son attrape-rêves. Il ne s’agit ni de le donner, ni de le vendre, car il est spécialement conçu pour un sujet : le tissage de l’attrape-rêves opère par sa singularité.
« Le temps d’un rêve[1] » est le titre de l’exposition temporaire présentée au Musée des Confluences de Lyon jusqu’à l’été 2025. Le communiqué de presse annonce que l’« être humain passe un tiers de sa vie à dormir et une grande partie de ce temps à rêver ». Le visiteur est invité à circuler entre neurosciences, arts, cultures du monde et psychanalyse. L’exposition nous promet un voyage en « étapes pour approcher ce mystère », une belle salle est ainsi consacrée aux attrapes-rêves. Mais quel est ce mystère ? Pour Lacan, « le réel, […] c’est le mystère du corps parlant, c’est le mystère de l’inconscient.[2] »
Pour la psychanalyse, rêves et cauchemars sont de l’ordre de l’intime, intrinsèques au sujet, et témoignent de la marque de la langue sur son corps. L’attrape-rêves, avec ses mailles tissées autour d’ un trou, a des points de convergence dans sa représentation avec le langage en tant qu’il « n’est concevable que comme un réseau, un filet sur l’ensemble des choses, sur la totalité du réel.[3] » Mais rêves et cauchemars ne se distinguent pas d’être attrapés ou rejetés dans une nasse qui serait au service du sujet, la nasse est le sujet lui-même en tant qu’il n’est pas seulement représenté par un signifiant auprès d’un autre signifiant, mais qu’il est lui-même ce mouvement d’ouverture et de fermeture. Le 1er chapitre du Séminaire X intitulé « L’angoisse dans le filet des signifiants » fait « rutiler le signifiant[4] » selon l’expression de J-A Miller : « c’est un filet – le mot figure [5] – qui semble fait pour attraper le poisson de l’angoisse, si je puis dire.[6] » Il poursuit : « Au début, on tresse un filet, mais se révèle tout du long du Séminaire comment ce filet de signifiants est frappé, comme le niveau spéculaire lui-même, d’une certaine impuissance.[7] » La psychanalyse, elle, considère le rêveur comme celui qui porte en son être toutes les couleurs de la pulsion. Faudrait-il choisir le mot le plus juste entre attrape-rêves ou attrape-cauchemars ? Rien n’est moins sûr ! À chacun plutôt d’en faire usage ou pas, selon ce qu’il y a à attraper. Le pari de la pratique analytique est de faire valoir les rêves et les cauchemars en tant qu’ils sont déjà une interprétation singulière du sujet.
[1] Musée des Confluences, Exposition temporaire “ Le temps d’un rêve” Lyon, octobre 2024 à août 2025, présentation consultable en ligne :
https://museedesconfluences.fr/fr/expositions/expositions-temporaires/le-temps-dun-reve
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Le Seuil, 1974, p. 118.
[3] Lacan J., Le Séminaire, Livre I, Les Écrits techniques de Freud, Paris, Le Seuil, 1975, p. 288.
[4] Miller J.-A., « Introduction à la lecture du Séminaire de L’angoisse de Jacques Lacan », La Cause freudienne, n°58, octobre 2004, p. 71.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre x, L’angoisse, Paris, Le Seuil, 2004, p. 24.
[6] Miller J.-A., « Introduction à la lecture du Séminaire de L’angoisse de Jacques Lacan », op.cit., p.69.
[7] Miller J.-A., « Introduction à la lecture du Séminaire de L’angoisse de Jacques Lacan » op.cit., p. 71.