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Le jeu fantasmatique 1

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Focus sur la place centrale du jeu chez l’enfant. Voie royale du matériel psychique propre à l’enfant. Loin d’être marqué du sceau d’une quelconque dévalorisation, c’est par le déploiement de l’imaginaire que l’enfant cherche à construire sa réalité psychique.

Pour se situer au niveau de cette réalité psychique, il faut rappeler la découverte freudienne du caractère structurellement halluciné du désir chez l’être parlant. Ce n’est pas pour rien que Freud s’autorise à prendre la psychose hallucinatoire comme exemple du caractère infantile du désir. Certes, il s’agit de les distinguer en structure – c’est fondamental – mais, à un certain niveau, Freud s’autorise à mettre en série hallucinations et rêves comme le propre de ce qu’il appelle les formations psychiques. Restant à ce niveau, nous nous autorisons à y ajouter : jouer et fantasmer.

Freud revient sur les premières expériences infantiles. Au-delà de la satisfaction du besoin qui trouve son assouvissement et sa satiété, l’enfant prolonge et extrait de cette satisfaction du besoin, une satisfaction autre, un au-delà, dont il retrouve, dont il récupère un ersatz dans l’hallucination de l’objet du désir. Pensons à retrouver le plaisir de la succion même, en suçant son pouce ou la tétine, ou encore au rêve de la petite Anna. Il s’agit d’y retrouver, mais plus fondamentalement d’y prolonger, par étayage (c’est important) sur les objets du besoin, un plus-de-jouir, lequel comporte une dimension d’insatiabilité. Il y a donc d’emblée, une érotisation de l’objet, non plus du besoin, mais de la pulsion, qui rend les orifices du corps par ailleurs érogènes. Il s’agit d’une logique de récupération de plaisir, par un désir halluciné, sur fond d’objet perdu.

Der Dichter und das Phantasieren[1] est à cet égard un très beau texte de Freud, un peu méconnu, qui peut servir de référence majeure à la JIE8. Il y développe que le fantasme est le passage à l’inconscient du jeu de l’enfant et de l’imagination dans laquelle il se plaît à se développer. Lacan prend appui sur ce texte, au début de son enseignement[2] ; Jacques-Alain Miller souligne qu’il y trouve matière à développer une « doctrine simplifiée du fantasme »[3].

Nous pouvons y suivre Freud, crayon à la main, tant ses propos sont d’une puissance qui résonne avec ce que nous avons développé jusqu’à présent :

  • « Ne devrions-nous pas chercher les premières traces d’activité littéraire, déjà chez l’enfant ? L’occupation la plus chère et la plus intense de l’enfant est le jeu. Peut-être sommes-nous autorisés à dire : chaque enfant qui joue se comporte comme un poète, dans la mesure où il se crée un monde propre, ou, pour parler plus exactement, il arrange les choses de son monde suivant un ordre nouveau, à sa convenance. Ce serait un tort de penser alors qu’il ne prend pas ce monde au sérieux ; au contraire, il prend son jeu très au sérieux, il y engage de grandes quantités d’affect. L’opposé du jeu n’est pas le sérieux, mais… la réalité. L’enfant distingue très bien son monde ludique, en dépit de tout investissement affectif, de la réalité, et il aime étayer ses objets et ses situations imaginés sur des choses palpables et visibles du monde réel. »[4]

Il poursuit :

  • « Ce n’est rien d’autre que cet étayage qui distingue encore le “jeu” de l’enfant de la “fantaisie”.»[5]
  • C’est un point crucial, puisque Freud développe que quand l’adolescent cesse de jouer, il « n’abandonne rien d’autre que l’étayage sur des objets réels ; au lieu de jouer, maintenant, il se livre à sa fantaisie. Il se construit des châteaux en Espagne, il crée ce qu’on appelle des rêves diurnes »[6]. Nous retrouvons ici, l’un des versants du fantasme que Jacques-Alain Miller a isolé[7]: les rêveries diurnes, bref les histoires imaginaires qu’on se raconte éveillés.

Freud situe donc un passage du jeu au fantasme, cheminement qui se poursuit à l’âge adulte :

  • « La fantaisie des hommes est moins facile à observer que le jeu des enfants. L’enfant, il est vrai, joue aussi tout seul, ou bien il constitue avec d’autres enfants un système psychique clos à des fins ludiques, mais même s’il ne joue rien pour les adultes, il ne leur cache pas pour autant son jeu. En revanche, l’adulte a honte de ses fantaisies et les dissimule aux autres, il les cultive comme sa vie intime la plus personnelle. »[8]

Freud indique ce que le psychanalyste sait très bien, tout autant que l’analysant : « Il préfèrerait confesser ses manquements plutôt que de communiquer ses fantaisies »[9].

Il conclut :

  • « Cette différence de comportement entre celui qui joue et celui qui se livre à sa fantaisie a son fondement dans les motifs des deux activités, dont l’une ne fait pourtant que continuer l’autre[10]

L’adulte a honte de sa fantaisie comme de quelque chose d’infantile et d’interdit. Essayons de saisir pourquoi. Là encore, Freud nous donne quelques pistes simples :

  • 1/ Dès le jeu de l’enfant, sa « création d’un monde propre » où « il arrange les choses de son monde suivant un ordre nouveau, à sa convenance », s’y glisse, s’en produit quelque chose qui permet de « procurer de [la] jouissance »[11], là où beaucoup de choses en tant que réelles ne le peuvent pas.
  • 2/ Le « renoncement » qui prend son départ à l’adolescence, ne concerne que l’abandon de l’étayage sur des objets réels, par contre, je le cite et c’est crucial : « l’adolescent cesse donc de jouer, il renonce apparemment au gain de plaisir qu’il tirait du jeu. Mais quiconque connaît la vie psychique de l’homme, sait que rien ne lui est aussi difficile que de renoncer à un plaisir qu’il a une fois connu. A vrai dire, nous ne pouvons renoncer à rien, nous ne faisons que remplacer une chose par une autre ; ce qui paraît être un renoncement est en réalité une formation substitutive ou un succédané »[12].

Nous sommes là au cœur de la découverte freudienne. Il la reprendra d’autres façons tout au long de ses publications. Elle nous intéresse de prendre leur point de départ de l’infantile et du plaisir appendu au jeu de l’imaginaire. Quels enseignements en tirer à propos du jeu de l’enfant, de son imagination et de ses « fantasmes ». Nous pouvons repartir pour cela du Séminaire IV, où Lacan se penche sur la phobie du Petit Hans.

 

[1] Freud S., « Le créateur littéraire et la fantaisie », L’inquiétante étrangeté et autres essais, Folio essais, Gallimard, Paris, 1985, p. 29-46.

[2] Lacan J., « La psychanalyse et son enseignement », Écrits, Seuil, Paris, p. 437-458.

[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne, Du symptôme au fantasme et retour », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 24 novembre 1982, inédit.

[4] Freud S., « Le créateur littéraire et la fantaisie », Ibid., p. 34.

[5] Ibid.

[6] Ibid., p. 36.

[7] Miller J.-A., à l’occasion de la présentation du séminaire XIV, La logique du fantasme, dans une émission de France culture, « Lire Lacan aujourd’hui », disponible sur radiofrance.fr.

[8] Freud S., « Le créateur littéraire et la fantaisie », ibid., p. 36.

[9] Ibid.

[10] Ibid., p. 37.

[11] Ibid., p. 35.

[12] Ibid., p. 36.

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