Jouljouer dans un atelier

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Comment, dans le cadre d’un atelier Chemin de Vie à l’association parADOxes, la construction d’un jeu peut-elle permettre à un jeune sujet de s’engager autrement dans son lien à la langue ? Comment va-t-il y mettre sa mise, comment pourra-t-il conjuguer son « jouljeu[1] », pour reprendre le néologisme de Lacan ?

Ces ateliers d’écriture individuels se déroulent en trois temps avec l’offre de produire un objet : un dessin, un texte écrit ou un jeu. La création de cet objet oriente les rencontres et assouplit l’échange pour celles et ceux qui ne peuvent parler d’eux-mêmes au premier abord.

Construire avec l’appui de notre présence invite le jeune à parler de lui, à partir de ce qu’il aime, à partir de son désir. La parole peut ainsi émerger en nouant objet et désir à la présence de qui dirige l’atelier. C’est ce qui s’est passé pour Charles, 13 ans. Le jeu qu’il a inventé prenant de plus en plus forme, et la parole se libérant au gré des feuilles et des matériaux qu’il coupe, découpe, colle, pour l’agrandir, en suivant sa logique inconsciente jusqu’à « faire naître le sujet à la fois à la réalité et au désir. [2] »

On ne « jouljeu » qu’au singulier

S’orienter de l’enseignement de Lacan inclut la dimension du jeu avec lalangue présente dans nos ateliers. Prenons cette référence de Lacan sur le jeu comme exemple :

« Bon. Alors, si je n’erre pas – et j’ai pas l’air – comment joue le jeu qui me guide ?

Ça fait un verbe, ça, “jouljeu” :

– tu jouljeux,

– ça continue, ça tient le coup à il jouljeut.

– Et puis après ça flotte : nous jouljouons, ou le verbe “jouljouer”, ça ne peut pas tenir.

Ça prouve qu’on ne jouljeut qu’au singulier. Au pluriel, c’est douteux, ça ne se “conjeugue” pas au pluriel, le jouljeu. [3]»

Dès le début de notre rencontre, Charles m’a demandé si j’étais d’accord pour que nous construisions un jeu. Il trace alors un chemin jalonné de cases dans lesquelles il inclut des éléments qui comptent pour lui : c’est sa façon de conjuguer son jouljeu. Dans certaines il écrit un chiffre, dans d’autres il dessine des fleurs, un soleil, un nuage. Enfin, il inscrit sur quelques-unes ce qu’il nomme « les événements de sa vie » et termine sa construction avec une case de départ et une de fin. Puis, il prend le temps de relier celles qu’il considère comme les plus importantes par des ponts. Je souligne alors les ponts qu’il a tissé d’un rendez-vous à l’autre puisque cette construction s’est faite en trois temps.

La constitution d’un jeu peut avoir la fonction d’un élément hétérogène à la chaîne signifiante, un élément du registre de l’imaginaire qui émerge quand les mots font défaut. Ainsi, pour Charles, le jeu, comme le rêve, est devenu un espace d’invention où « donner forme au monde [4] » en jouant avec la langue.

En conjuguant jouljouer au singulier, Charles a pu établir des liens, énoncer l’émergence d’un point de réel et opérer des déplacements en engageant son corps, en se remettant en mouvement. L’atelier lui a permis de donner forme à sa propre parole et lui a donné le goût de continuer à parler.

 

 

[1]. Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 19 février 1974, inédit.

[2]. Roy D., « Rêves et fantasmes chez l’enfant », Introduction à la 8e journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant du Champ freudien, https://institut-enfant.fr/orientation/presentation-du-theme/reves-et-fantasmes-chez-lenfant/

[3]. Lacan J., « Les non-dupes errent », op. cit.

[4]. Terrier A., « Se construire un monde », Argument de la 8e Journée de l’Institut psychanalytique de l’Institut de l’Enfant du Champ freudien,https://jie8.institut-enfant.fr/jie8/se-construire-un-monde/

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