Hallucination ou fabulation ?

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Venu faire conversation avec un psychanalyste dans un cadre hospitalier, un jeune adolescent évoque avec sérieux les « illusions » qui se présentent parfois à lui. Il en distingue trois types : des images qu’il voit, des voix qu’il entend, et une sensation qui se produit dans son corps. Si ce jeune a trouvé le signifiant « illusions » pour parler de ses hallucinations, d’autres peuvent dans leurs recherches en parler comme étant des rêves[1], des cauchemars, ou des anecdotes pouvant à l’occasion être épinglées comme des fabulations. C’est l’orientation vers le réel de la psychanalyse qui fera ici la différence.

Qu’il les nomme « illusions » et n’y croie pas totalement dans l’après-coup est déjà un pas important pour ce jeune chercheur. Résultat de ce qu’il ait trouvé des intervenants à qui il aura pu en parler comme tel. Il commence là une tâche d’ampleur, qui consiste à élaborer un savoir-faire, et élargir sa marge de manœuvre face à l’insupportable de ces phénomènes hallucinatoires.

L’hallucination, c’est l’irruption pour un parlêtre d’un phénomène hors-sens, qui déchire la trame de sa réalité. Elle surgit comme non articulée à la chaîne signifiante qui constitue son monde. C’est un phénomène élémentaire, au sens d’un élément tout seul, non articulé – un S1 tout seul.

Ce jeune a constaté après maintes recherches que quand ces phénomènes lui arrivent il n’y a pas d’éléments externes concrets qui aient produit le stimulus, ce en quoi elles sont « illusions ». Effectivement, pour nous éviter d’être obnubilés par la question de la réalité en tant qu’elle serait composée de stimuli extérieurs à accommoder, Lacan nous indique que « le sujet est immanent à son hallucination[2]. » C’est une affaire immanente à celui qui l’éprouve et qui le concerne au plus près. L’hallucination fait surgir le réel immanent au parlêtre, c’est en cela qu’elle touche à l’impossible à supporter. Face à cet impossible, la dimension du sujet est à considérer comme une « possibilité [qui] est là[3]. » Et pour que la dimension subjective puisse émerger, il s’agira que le S1 tout seul puisse trouver à s’inscrire dans l’Autre.

Un prérequis sera que le phénomène élémentaire ne soit pas pris pour une fabulation. Il ne se situe en effet pas de la même façon dans la dimension du langage. La fabulation s’inscrit dans les lois du langage, elle rentre dans le bal des signifiants, S1-S2…Sn, et participe ainsi de la réalité, de la danse des fictions et des semblants, qui masquent le réel.

Le phénomène élémentaire est premier, « l’idéation est secondaire[4] » relève Jacques-Alain Miller. « Les contenus et la coloration affective ne […] viennent que postérieurement […]. [Le phénomène élémentaire] ne dépend pas de ces données mais […] il se réfracte sur elles[5]. » C’est le remous initial, dont l’onde va se réfracter sur les élaborations postérieures du sujet, qui seront autant de déplacements de libido ayant pour fonction d’atténuer la charge réelle incluse dans le choc princeps. Dans les présentations de malade qu’il effectuait, Lacan « essayait de reconstituer [ce] point initial[6] », afin que ce sillon soit tracé pour la suite du travail du patient avec les professionnels qui l’accompagnaient.

A cet égard, un adolescent qui fréquente une unité hospitalière dans laquelle j’interviens a fait une trouvaille qui, si elle ne vaut que pour lui, nous enseigne. Il consigne depuis un certain temps dans un calendrier les périodes durant lesquelles il entend une voix qui lui fait très peur et le met en danger, car elle « parie sur sa vie ». Depuis peu, cela est devenu moins inquiétant pour lui car il utilise une deuxième voix, qui intervient pour arrêter la première. Ce procédé très singulier produit pour lui des effets d’allègement qui se répandent dans différents aspects de sa vie et de son lien social. Ainsi, il participe plus volontiers aux conversations, où il fait preuve avec un certain humour d’une répartie à toute épreuve quant aux piques qui peuvent jaillir. Il s’est auto déclaré « le roi du clash » et est reconnu comme tel par ses pairs.

 

 

 

[1] Chiriaco S., « De la porosité entre rêves et hallucinations », Quarto, no 101-102, Bruxelles, 2012, p.152 à 159.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 232.

[3] Ibid.

[4] Clérambault (De) G.-G., cité par Miller J.-A., in « Enseignements de la présentation de malades », Préface de Traverser les murs, de Biagi-Chai F., Editions Imago, Paris, 2020, p. 13

[5]Ibid.

[6] Miller J.-A., « La paranoïa vue par les grands psychiatres », La Cause freudienne, no 74, mars 2010, p. 240.

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