Récits fantaisistes en institution

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Comment accueillir les « fantaisies[1] » des enfants — pour reprendre le terme de Freud — que nous recevons dans nos institutions. Quelle place ? Quelle fonction ? Comment se positionner comme intervenant orienté par la psychanalyse pour laisser se construire ces récits fantaisistes ?

Fonder une institution, à entendre comme acte auquel fait référence Lacan dans son « Acte de fondation[2]», relève du désir de l’analyste. À l’Antenne 110, une des clés de voûte de la pratique à plusieurs repose sur le concept d’« éducateur quelconque ». Si cette formule n’est plus tellement usitée, elle continue d’orienter notre travail. Virginio Baio en parlait comme d’une « obstination[3] » Quelle est-elle dans un lieu qui fait le pari, d’une part d’un savoir déjà-là, insondable, à l’œuvre chez les enfants ; et d’autre part d’un savoir extérieur, qui oriente la pratique clinique, celui de l’enseignement de Freud et de Lacan ? Si le choix du signifiant éducateur s’éclaire de se distinguer du psychologue qui interprète en ajoutant du sens — l’éducateur étant celui qui, au ras des pâquerettes, récolte les cailloux ou les perles des enfants — le signifiant quelconque reste énigmatique !

« Fondation » et « quelconque » ne manquent pas de faire résonner le texte de Lacan dans lequel il formalise l’algorithme du transfert : « On reconnaît à la première ligne le signifiant S du transfert, c’est-à-dire d’un sujet, avec son implication d’un signifiant que nous dirons quelconque, c’est-à-dire qui ne suppose que la particularité […][4] » Un signifiant second, « quelconque », s’articule à un premier signifiant et produit un effet d’irréalisation, première maille d’« un filet signifiant jeté sur la jouissance.[5] » « Quelconque » ouvre aussi à l’interchangeabilité propre au signifiant qui marque comme tel les intervenants. Un signifiant se substitue à un autre signifiant ; nous sommes interchangeables ; mais pas dans le transfert : quelconque n’est pas n’importe qui.

À partir de ce fil, en suivant l’indication de Jacques-Alain Miller, selon laquelle : « Le signifiant irréalise le monde[6] », nous pouvons prendre au sérieux les fantaisies de l’enfant qui indexent un réel pulsionnel tout en constituant une tentative de négativer la jouissance, de la prendre dans des filets signifiants. En saisir la fonction est central. L’enfant se présente souvent avec de précieux objets qui appartiennent à un univers singulier, de la sphère de l’intime, bien souvent proche de son corps. « Les accueillir comme signifiants […] [introduit] dans ce monde la présence de l’analyste comme élément nouveau[7][,] fait naître le transfert et permet qu’il opère.[8] » La relation de certains enfants à leurs objets témoigne d’une construction imaginaire pouvant produire un certain sens, une fantaisie tout à fait sérieuse. Lorsqu’il y a S2, un autre type de S1 peut apparaître[9]. L’accroche à un autre signifiant peut lui permettre d’adresser ce qui lui fait question et d’élaborer un savoir. S’il y a transfert, il n’est pas à entendre en tant qu’installation du sujet supposé savoir, mais il s’agit d’un partenariat à partir de l’objet/signifiant de l’enfant. Le désir de l’analyste sera ici une boussole.

Dans une « pratique de la résonance[10] », les propositions faites par l’intervenant n’ont-elles pas chance de faire advenir un S2 et donc par effet rétroactif, un S1 d’un autre type ? Le rapport au corps et à l’autre en est modifié : adresse, questions, surprises et joie sont alors au rendez-vous.

 

[1]. Freud S., « Le créateur littéraire et la fantaisie », L’inquiétante étrangeté et autres essais, Folio essais Gallimard, Paris 1985, p. 34.

[2]. Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001. p. 229-241.

[3]. Baio V., « La fonction des éducateurs à l’Antenne 110 », Préliminaires, n11, p. 69, 1999.

[4]. Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 248.

[5]. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Du symptôme au fantasme et retour », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 24 novembre 1982, inédit.

[6]. Miller J.-A., « Clinique ironique », La Cause freudienne, no 23, février 1993, p. 7.

[7]. Miller J.-A., « La matrice du traitement de l’enfant au loup », La cause freudienne, no 66, mai 2007, p. 145, Inédit.

[8]. Terrier A., Se construire un monde, Argument de la JIE8 « Rêves et fantasmes chez l’enfant », Blog de la JIE8, disponible en ligne.

[9]. Carbonell N., Autisme, psychose : diagnostic ou structure ?, conférence à l’Antenne 110, Inédit, juin 2023.

[10]. Syntagme proposé par Christophe Le Poëc lors des Journées de la Cigarra « Lire le symptôme dans l’autisme », décembre 2024, inédit.

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