Dans le Séminaire IV , Lacan montre que la phobie est chez Hans un substitut du Nom-du-Père. Mais à elle seule elle ne saurait offrir une issue satisfaisante, et Lacan va montrer que les rêves, fantasmes et autres fantaisies de l’enfant concourent tout autant à passer de l’imaginaire au symbolique – l’enjeu étant l’assomption du phallus symbolique.
La phobie, une peur que le cheval ne morde et ne tombe, advient au moment où l’enfant se trouve mis en demeure d’assumer le phallus comme signifiant. Ayant aperçu que sa mère désirait au-delà de lui, il s’évertue à la satisfaire en étant le phallus qui lui manque – mais ici, un phallus imaginaire. Deux éléments vont perturber cet équilibre qui reposait sur le leurre : l’érection, et la naissance de la petite sœur qui déloge Hans du lien duel avec la mère. Dans ce drame, le père réel manque : hors du coup[1], il n’aide pas son fils dans le repérage du phallus symbolique. Hans est donc dans l’impasse : l’irruption de jouissance ouvre chez lui une béance face à laquelle le jeu de tromperie ne saurait plus suffire.
Hans fomente alors la phobie. Elle est un signifiant qui marque un avant et un après dans le monde de l’enfant et signe le passage du jeu de leurre à l’avènement du mythe. Lacan convoque là la thèse de Levi-Strauss sur le mythe dans Anthropologie structurale : le mythe a une efficacité symbolique, car il traite les éléments imaginaires et réels qui font énigme[2] en les faisant passer au registre signifiant. Devant la nouveauté du pénis réel, Hans se livre en effet à une intense activité mythique. Le rêve des deux girafes en témoigne. Afin d’éveiller la jalousie du père réel, dont on a vu qu’il est carent, l’enfant fait entrer en scène deux girafes, l’une grande et l’autre petite qu’il chiffonne pour s’asseoir dessus. Celle-ci figure la mère. Dans le Séminaire IX, Lacan souligne « la dimension du symbolique mise en acte dans les productions psychiques du jeune sujet à propos de cette girafe chiffonnée[3]. » Cette formation signe « l’apparition du symbolique comme tel dans la dialectique psychique[4]. » Avec la Phantasie mythique, « nous […] voyons se produire à ciel ouvert la transition qui fait passer l’enfant de la dialectique imaginaire du jeu intersubjectif avec la mère autour du phallus, au jeu de la castration dans la relation avec le père. Le passage se fait par une série de transitions qui sont précisément ce que j’appelle les mythes forgés par le petit Hans[5]. »
La phobie, qui supplée au signifiant du père est une première structuration symbolique de la réalité[6]. Mais elle seule ne saurait donner une issue satisfaisante. Il y faut le travail du mythe pour articuler la solution, afin d’intégrer le réel de la jouissance par la mise en jeu des permutations signifiantes. Dans le fantasme de la baignoire et de l’installateur, le pénis en tant qu’amovible y est convoqué comme élément signifiant ouvert au jeu de la substitution. Avec la fantaisie de la baignoire convoquant le signifiant dans son ambiguïté (on se rappellera ce que dit Freud de bohren / geboren sein – percer / naître), Hans témoigne qu’il peut commencer d’assumer le manque de la mère. Un mois plus tard, il fait un pas de plus avec le fantasme de l’installateur qui dévisse puis visse un élément élevé au rang de signifiant. On dévisse à l’enfant un derrière et un pénis pour lui en remettre un autre. C’est un nouveau franchissement qui signe le passage de l’image au signifiant. Il s’agit que le pénis ait été enlevé puis rendu. La phobie, pas sans le mythe, vise ainsi chez Hans à un tel traitement et permet une « résolution curative[7]. »
[1] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seul, 1994, p. 222.
[2] Cf. Ibid., p. 253. Le mythe est un récit atemporel qui a un caractère de fiction.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre IX, « L’identification », leçon du 20 décembre 1961, inédit.
[4] Ibid.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre IV, op. cit., p. 274.
[6] Cf. Ibid., p. 284.
[7] Lacan J., « L’instance de la lettre dans l’inconscient », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 520.