Le fantasme est un écran, une surface où se projette ce film qu’on nomme « réalité ». Il s’interpose – fonction éminente de toute défense – entre le sujet et le réel. Aussi Lacan le compare-t-il à un praticable, cette structure qui au théâtre soutient le décor.
Pour nombre d’enfants reçus en consultation ou en institution, cette fonction protectrice du fantasme fait défaut, laissant le sujet aux prises avec un réel et un déferlement de jouissance qui déchirent la trame de sa réalité, l’écran de son cinéma intérieur.
Ce sont ces enfants les plus susceptibles de présenter une défaillance de la fonction d’écran du fantasme qui peuvent se réfugier de façon compulsive derrière un écran réel (console, ordinateur, téléphone portable). Cet écran de substitution à celui du fantasme peut être considéré comme un appareillage d’appoint, une surface de projection portable, à sa main, pour tenter d’instituer un néo-miroir qui soutient un monde de semblants vivables où circuler.
Par exemple, ce jeune adolescent, réfugié dans des jeux de tirs en première personne. Il traite ainsi le regard qui le vise dans la rue. Ce jeu, dit-il, « exporte la guerre derrière l’écran ». Pour suppléer à la défaillance du fantasme, il invente un dispositif qui réintroduit un point de fuite dans son paysage, pour le rendre respirable : il passe d’être visé à viser des cibles sur son écran.
Le fantasme fait pansement à l’effraction de jouissance dans le corps.
Pour le sujet psychotique, il s’agit plutôt de soutenir ce qui pourrait venir pallier l’absence du fantasme, afin que le sujet puisse couvrir de son voile la faille qui s’ouvre à chaque instant dans son corps.
Bien des sujets étiquetés par des « troubles de l’attention » présentent en réalité une défaillance de la fonction du fantasme, ce qui ne permet pas à leur attention de se focaliser sur un point indexant la perte d’un objet dans le paysage, autour duquel pourrait se concentrer leur désir.
Si ces sujets s’appareillent d’écrans, leur usage en est toujours singulier ; il s’agit de repérer, au cas par cas, quels éléments ils tentent d’en extraire pour constituer le point d’appui qui leur fait défaut. Aussi le véritable cadre à installer n’est-il pas celui de l’autorité, mais celui d’un bord au tableau qui limite les contours du monde. Il en va ainsi de certains sujets qui, sur Minecraft ou sur d’autres jeux, construisent des lieux qu’ils ont visités, élaborant, dans une architecture numérique, un espace où ils peuvent circuler, donnant forme au vide.
Si le fantasme installe un point de fuite intérieur, il institue ainsi une véritable fenêtre d’évasion imaginaire. Il est ainsi ce qui permet à un sujet de supporter d’être quelque part, en lui permettant de pouvoir s’en échapper en pensée quand il y est, aménageant une marge.
La spécificité du fantasme dans la psychose, c’est que le sujet ne peut pas se retrancher du tableau : il est captif de la scène, inclus dans le tableau. De ne pas pouvoir s’en séparer le conduit à se faire exclure des lieux qui l’accueillent, car il colle à la scène au point de ne pouvoir s’en séparer que dans le passage à l’acte.
Aussi c’est quand le sujet parvient à se décompter, à se retrancher de toute scène via son fantasme, qu’il peut supporter d’être quelque part, qu’une inclusion sera possible. Le fantasme s’interpose entre lui et le lieu qui l’accueille, car son véritable espace de circulation est celui de cette voie illusoire, cette voirie pavée d’illusions qu’est la « réalité ».