« Lalangue » : matière de la fiction

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Tenir à distance l’an-historique

Nous considérons avec beaucoup d’attention et de sérieux les univers foisonnants tissés à partir des fictions que les enfants rencontrent. Mais au-delà de ce travail d’accueil et d’attention pour le contenu des rêveries, des constructions fantasmatiques et des fabulations de chacun, nous entendons la lalangue de chaque sujet qui en est la matière. L’histoire familiale – roman, précisait Freud – est alors à entendre comme la contre-histoire de la lalangue. En effet le roman familial est une solution pour échapper à sa langue et faire bord au trou du réel. Les fictions tiennent à distance les moments de rencontre avec lalangue du corps : car ces moments-là sont an-historiques. L’histoire, par laquelle l’enfant raconte son rêve et ses fantaisies, vient aussi, et c’est du même ordre, entourer, cerner, ce que Freud a nommé « le nombril du rêve » : ce qui ne peut se dire en aucun cas, le stigmate de l’exclusion irrémédiable du parlêtre d’avec son origine. Daniel Roy nous indique que pour l’enfant du 21éme siècle « les fictions sont le mode même grâce auquel se nouent jouissance et signifiant, symptôme et symbole : de cette rencontre, de ce heurt, elles en sont le cristal [1]

Nous nous sommes intéressés de plus près au terme de fantaisies, utilisé par Freud dans son texte de 1907 Le créateur littéraire [2]. Les fantaisies, ce sont les petites histoires que le sujet se raconte à lui-même, plaisirs coupables du névrosé, non sans honte, chez l’adolescent, qui pourra alors s’appuyer contre des univers fantastiques, pour mettre un voile sur ses fantaisies et sa rencontre avec le réel du sexuel. Ainsi peut s’expliquer cet engouement des jeunes filles, à l’orée de la puberté, pour les histoires de vampires, et les succès littéraires et cinématographiques de ces fictions fantastiques où des créatures s’emparent dangereusement des corps et où les objets pulsionnels changent de forme – de la dévoration des histoires d’enfants à la morsure dans le cou du vampire, du frisson à la sensualité. L’intrusion de l’étranger, c’est ce qui caractérise le fantastique et qui vient habiller les fantaisies, pourrions-nous dire.

 

L’hésitation du fantastique

Ce qui distingue le « fantastique » du « merveilleux » en littérature, c’est l’hésitation. En effet le héros fantastique a systématiquement une réaction de refus, de rejet ou de peur face aux événements surnaturels qui surviennent. Le fantastique est très souvent lié à une atmosphère particulière, une sorte de crispation due à la rencontre de l’impossible. Contrairement donc au merveilleux, où le surnaturel est posé et accepté d’emblée. Quelque chose dans le fantastique a donc à voir avec la jouissance et la pulsion. Les récits fantastiques, contrairement aux pures fantaisies, sont habillés d’une couche supplémentaire et servent d’ailleurs souvent de support en consultation avec les adolescents pour aller à la rencontre de leurs fantaisies et donc de leurs fantasmes. Ces petites histoires peuvent venir aider le sujet à se faire un monde ou au contraire venir boucher la possibilité d’une rencontre, se faire « tout un monde » de petites choses. « Se faire ses films », notamment à l’adolescence, vient parer à l’éventuelle rencontre.

 

La petite graine

Nous pensons à cette jeune patiente qui peine à « avoir une histoire sérieuse » avec un garçon et qui explique très bien comment à partir « d’une petite graine », qu’un autre lui met dans la tête, vient germer dans ses pensées tout un tas de scénarii qui se déplient sans fin et l’envahissent complètement, jusqu’à l’angoisse, faisant écran à une rencontre possible. Cette « petite graine » c’est le noyau de la fabulation pourrait-on dire : la fabulation est un mythe qui vient pousser à la place du non-rapport sexuel. Ce terme vient du latin fabulatio, le discours, la conversation, issu lui-même de fabula, la rumeur, le récit mythique et dérivé de faba, la fève, le haricot. Dans le trou, hors symbolique, du non-rapport sexuel, une fève, c’est un objet a qui permet l’amorce du désir. Cette même patiente nous dira d’ailleurs très justement que la phrase « l’espoir fait vivre » a été inventée pour elle. Alors à la place de la rencontre peut venir « le crush », pour « s’imaginer qu’il se passe quelque chose. »

 

 

 

[1] Roy D., « Fictions d’enfance », La Cause du désir no 87, mai 2014, Navarin éditeur, p. 9

[2] Cf. Freud S., « Le créateur littéraire et la fantaisie » (1907), L’inquiétante étrangeté et autres essais, coll. Folio Essais, Gallimard, 1985.

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