« Je souhaiterais une consultation pour mon enfant qui n’arrive plus à s’endormir depuis qu’il a regardé ce film… il ne veut pas m’en parler… »
Aucune campagne de prévention destinée aux parents, avec ses recommandations de bonnes pratiques éducatives, ne peut prévoir ni empêcher le surgissement d’un tel événement, à nul autre pareil. Ce discours martelé aux parents, que nous pouvons nommer avec Lacan le disque-ourcourant fait l’impasse sur l’inconscient, la complexité d’un corps parlant, avec toute l’épaisseur et l’opacité de ses rêves et fantasmes. Il existe donc un écart majeur entre ce discours et celui de la psychanalyse qui vise précisément le réel, ce sur quoi on se cogne.
Le discours analytique part au contraire d’un point de non-savoir, d’un non-su[2] qu’il y a à lire. L’analyste invite l’enfant à venir parler de cette contingence, cet imprévisible qui l’a affecté, percuté. Il s’agit de prendre au sérieux, c’est-à-dire d’entendre à la lettre[3], ce que l’enfant a à dire de ce qui lui arrive et lui permettre d’en fabriquer sa version pour qu’il s’en fasse responsable, avec le temps qu’il faut.
Je pense à cette fillette qui ne voulait rien montrer aux autres de ses affects. Elle avait prélevé dans la figure de E.T.[4] un détail « monstrueux » : son cou télescopique. Cette tête érectile devenait une véritable monstration.
Tel autre enfant s’était emparé d’un film de super héros en réponse à l’énigme de sa naissance. Il s’était fabriqué une néo-famille, s’imaginait ainsi « venir d’ailleurs »[5], veillant à ce que cela reste absolument secret.
L’enfant fait un usage intime et tout à fait singulier des fictions qu’il rencontre. Avec ce matériau, il construit sa réalité et vérifie que ses parents ne savent pas tout de ce qu’il pense, qu’il n’est pas « transparent » pour eux. Dans la rencontre avec un analyste, cette part d’énigme que le sujet est pour lui-même, peut alors trouver à se mi-dire.
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 34.
[2] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 249 : « Cela n’autorise nullement le psychanalyste à se suffire de savoir qu’il ne sait rien, car ce dont il s’agit, c’est de ce qu’il a à savoir […] le non-su s’ordonne comme le cadre du savoir ».
[3] Lacan J., « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud » (1957), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 510.
[4] Spielberg S., E. T., L’Extra-Terrestre, 1982.
[5] Bonnaud H., L’Inconscient de l’enfant. Du symptôme au désir de savoir, Paris, Navarin / Le Champ freudien, 2013, p. 38.