À l’école des sorciers

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Dans une école bretonne, le directeur et les enseignantes accueillent les nouveaux CP déguisés en Dumbledore et professeures de sorcellerie, pour une cérémonie de rentrée façon Harry Potter. Vêtus de capes fournies par l’école, les petits élèves sont invités un par un, devant les parents réunis, à s’installer sur une chaise ancienne et à recevoir sur la tête ledit Choixpeau Magique, qui les répartit dans leurs classes respectives. Imaginée après le COVID, cette mise en scène visait à produire « un événement plus gai » : « que les enfants ressentent du plaisir à venir à l’école » et n’aient « pas peur » du passage en élémentaire. Plus raffinée chaque rentrée, elle veut montrer depuis « que les adultes savent aussi s’amuser [1]. »

Qu’est-ce qui pousse à scénariser ainsi la rentrée des classes ? L’enfant ici intronisé est supposé déprimé et apeuré. Le recours à l’univers magique est censé le mobiliser et le rassurer au moment d’aborder l’apprentissage des savoirs fondamentaux. Fantasme d’enseignants inquiets ou nouvelle fiction d’école répondant à un réel du côté de l’enfant ?

Le laboratoire du CIEN à Saint Malo a conversé avec une enseignante qui use, comme beaucoup [2], du motif Harry Potter pour créer et maintenir « un bon climat de travail et un environnement favorable à l’apprentissage [3]. » Elle constate que les élèves s’approprient vite rituels et règles du jeu, quels que soit leur niveau de compétence et leurs modalités relationnelles, dans cette classe décorée aux couleurs des quatre Maisons. On les invite à se saisir de valeurs distinctives (courage et détermination, intelligence et créativité, etc.) et à collaborer pour gagner des bons points ; à veiller aussi, collectivement, à ne pas laisser les forces du mal prendre le dessus sur la classe. Ce cadre favorise l’émergence d’un « sentiment d’appartenance » nécessaire au vivre ensemble. Un autre récit fédérateur ferait sans doute aussi bien l’affaire, dit-elle, mais les plus jeunes lui réclament dans la cour d’en être l’année suivante. Tous ont entendu parler de l’univers magique – le récit potterien existe aujourd’hui en tant que récit [4] – et ils connaissent les produits dérivés qui inondent le marché, « ça les motive et ça les rend curieux ». La fiction, soutenue par de menus objets, suscite ici le désir d’école.

Retenons, de ces deux exemples, d’une part la peur autour de l’entrée en primaire ; d’autre part le souci de motiver un sentiment d’appartenance à l’espace scolaire. Qu’en dire, avec la psychanalyse ? Éric Laurent rappelait que « l’effort fondamental pour l’enfant qui entre à l’école réside dans la nécessité de perdre quelque chose de sa jouissance. On remédie ensuite à cette perte par un plus de jouissance, qui est d’une autre dimension, obtenu par l’insertion du sujet dans le discours de l’école proprement dit [5] . » C’est le corps d’abord qui entre en éducation avant tout apprentissage, et le risque demeure, si cette jouissance n’est pas accueillie et traitée, que s’observe du côté de l’enfant « un certain rejet de l’école, une agressivité, voire une haine [6] » – E. Laurent mentionnait en 2013 les massacres d’enfants perpétrés dans les écoles et les menaces de morts adressées aux enseignants, mises depuis à exécution.

S’agit-il, avec les classes Harry Potter, d’inventer un dispositif apte à inclure cette dimension pulsionnelle ? Si elle n’est pas réduite au décorum, la médiation par la fiction peut permettre d’accueillir ce qui hurle ou obnubile, ce qui dévore ou ce qui encombre en chacun et risque toujours de mener au pire. De nombreux enseignants semblent chercher aujourd’hui en ce sens. Les laboratoires du CIEN, au sein de l’Institut de l’Enfant, peuvent se faire adresse et partenaire de leur effort, s’il vise non tant à réenchanter le monde qu’à aborder et border le réel immonde.

 

 

[1] www.ouest-france.fr/bretagne/saint-malo-35400/video-pour-la-rentree-des-ecoliers-de-saint-malo-intronises-facon-harry-potter-55e7c60a-4b3e-11ee-b9cf-046bec9b05b6

[2] Cf. Gindensperger S., « Rentrée scolaire : les « classes Harry Potter » charment les élèves », Le Monde, 29/08/2022.

[3] Nault T. et Fijalkow T., « La gestion de la classe : d’hier à demain », in Revue des sciences de l’éducation, n° 25, 1999, p. 451.

[4] Cf. Milner J.-C., Harry Potter. À l’école des sciences morales et politiques, Paris, PUF, 2014, p. 8.

[5] Laurent E., « Les traumatismes du savoir », in Le savoir de l’enfant, Paris, Navarin éditeur, n° 2, 2013, p. 152.

[6] Ibid. p. 153.

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