Plein de fantasmes

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Rêves et fantasmes chez l’enfant est un thème qui m’évoque, par le pluriel des termes, une première réflexion et mise au travail. Si « rêves » est très souvent au pluriel dans les cures, que ce soit dans la présentation de cas ou dans les témoignages de passe, fantasme est souvent au singulier et présenté comme ce qui se traverse en fin d’analyse. Est-ce vraiment l’expérience des cures que nous menons avec enfants et adolescents ? Un coup d’œil rapide à Freud et à Lacan lèvera le voile sur ce pluriel en opérant une distinction déjà développée par Lacan dans le Séminaire VI que je résumerai par : le fantasme fondamental[1] et les autres, si j’ose dire.

Ce « les autres » me semble tout à fait important pour faire entendre ce qui se joue dans une cure. Finalement, avec un enfant ou un adolescent, n’avons-nous pas plus souvent affaire à des fantasmes au pluriel qu’à des rêves ? Les fantasmes ne se présentent-ils pas déjà-là dans la parole, alors que souvent, les rêves, il faut les demander, au moins au départ ?

Dans son texte d’orientation, Daniel Roy donne une définition de ces fantasmes : la « valeur de jouissance sur une représentation imaginaire[2] ».

Une petite vignette : Jules a 7 ans, il consulte parce qu’il est « violent, tape, mord, griffe… ». Après une première consultation en présence de sa mère, il revient pour la seconde où elle m’interpelle : « Il a encore tapé un camarade », Jules coupe : « Il m’a cherché ». J’interromps la mère excédée qui veut l’éduquer et propose, puisqu’il a pris la parole, qu’il reste avec moi pour que j’écoute ce qu’il a à dire. Nous restons tous les deux[3] : « Pouvez-vous me dire précisément ce qu’il s’est passé ? ». « C’était à mon tour d’être Batman, c’est toujours lui et il ne veut pas que ce soit moi, alors je l’ai tapé. Il me cherche toujours ». Comment mieux dire « la valeur de jouissance de certaines représentations imaginaires ». Pourquoi les psychanalystes prennent-ils au sérieux les dessins, les jeux des enfants… ? En l’occurrence et le travail avec Jules le démontrera ensuite il convient de se poser la question : que représente « être Batman » pour Jules ?

Qui ne voit pas comment ce jeu d’être, n’est pas à ranger du côté de l’identification non pas à entendre du côté de faire comme, mais comme le propose Lacan : « [c’] est plutôt pris comme propre[4] ». Pendant un temps, l’enfant ne fait pas comme Batman, il est Batman. C’est un manteau, un habillage, parfois de ce qu’il n’y a pas et qui pendant un moment sera : être. Être X est ce qu’il n’y a pas pour Jules et permet un « je suis ». Batman est ce qui vient en lieu et place, au moins pour un instant, du trou de la forclusion. C’est le signifiant qui vient représenter le sujet pour un autre signifiant. Signifiant de pacotille peut-être, étoffe trouée sans doute, rapiécée certainement mais étoffe tout de même et, en ne lui donnant pas le manteau de l’être Batman, le camarade ne sait pas que pour celui qui n’a pas d’autre manteau, ou si peu, le passage à l’acte peut être réponse.

Dans Le Séminaire IV, La relation d’objet, aux chapitres XII et XIII, Lacan décortique la constitution du Je comme pouvant dire Je. Je ne prendrais qu’une seule citation, mais tout le chapitre ainsi que le suivant sont des boussoles incroyables pour penser le « s » à fantasmes. Le complexe de castration consiste en ce que « l’enfant assume le phallus en tant que signifiant, et d’une façon qui le fasse instrument de l’ordre symbolique des échanges, en tant qu’il préside à la constitution des lignées[5] ». Que veut dire cette phrase ? Que l’enfant est d’abord dans un rapport imaginaire à la mère, un rapport de fixation qui, en tant que tel contient toujours la dimension a—a’ qui inclut le tranchant mortel de l’axe imaginaire. La position de phallus imaginaire de la mère passe au phallus symbolique par l’opération de la métaphore paternelle. La métaphore va, d’un côté, répondre à ce que Lacan appelle la frustration de l’enfant qui découvre le désir énigmatique de l’Autre : il n’est pas tout pour la mère, elle désire ailleurs, cela fait surgir l’angoisse radicale du rapport à l’Autre. Le Nom-du-Père est la réponse à l’énigme radicale du désir de l’Autre, c’est un nom qui dit « non ». Et, d’un autre côté, la métaphore vient nommer le manque, phallus symbolique, signifiant du manque, qui vient permettre au sujet de se représenter dans l’Autre par l’intermédiaire du père. À ce moment de son enseignement, Lacan fait du père réel, l’opérateur en tant qu’il tient le pénis réel, ainsi, promettant à l’enfant un au-delà de la mère, un « toi aussi tu pourras, plus tard donner l’enfant ». L’opération témoigne de deux fonctions : représentant du manque fondamental issu de cette perte primordiale et en même temps, inscription dans la lignée, dit Lacan. Un peu plus loin, Lacan parle des armoiries comme ce qui vient représenter le sujet dans l’ordre signifiant. On ne parle plus comme cela aujourd’hui, et pourtant, c’est un repère fondamental, car si l’opération de la castration a opéré, cela veut dire que la loi symbolique peut se muer en surmoi : cette loi s’incarne « sous les formes […] les plus grimaçantes – qui s’appelle le surmoi ». Tout à la fois « tyrannique [et] paradoxal[6] ». La loi symbolique est une loi de mortification de la jouissance, comme le souligne Lacan il n’y a pas de père qui puisse incarner totalement cette loi. Alors faisons l’hypothèse que le jeu de l’enfant, le jeu du « je », le jeu du « je suis » ceci ou cela, est une manière de rendre vivante cette inscription sous un signifiant, de produire du jeu avec la mortification dans le cas où le Nom-du-Père est venu inscrire le sceau de la loi, et pour celui où le trou est venu à la place du signifiant de la représentation, il est une respiration contre la jouissance envahissante, sorte de localisation.

Je demande à Jules :

  • Est-ce qu’il y a d’autres personnages que vous aimeriez bien être ?
  • Plein.
  • Qui par exemple ?

Le travail sur son « je suis » ne fait que commencer, car, des fantasmes, il en a « plein ».

 

 

  1. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, chapitre xx : « Le fantasme fondamental », texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière/Le Champ freudien, juin 2013, p. 423-442.
  2. Roy D., « Rêves et fantasmes chez l’enfant », texte d’orientation vers la jie8, site de l’Institut psychanalytique de l’enfant, institut-enfant.fr.
  3. Les noms, la situation, ont été changés pour des raisons de confidentialité ; le dialogue demeure en raison de l’importance des signifiants
  4. Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, p. 363.
  5. Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, p. 200.
  6.  Ibid., p. 211-212.

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