La psychanalyse a rencontré des obstacles. Initialement, les deux textes de Freud qui firent littéralement scandale – ce qu’il l’avait prévu et en avait ainsi retardé de plusieurs années la publication – sont celui sur sa patiente Dora et celui de ses Trois essais sur la théorie sexuelle qui mettait en valeur la sexualité infantile. Avec le temps il est possible de dire que la psychanalyse avec les adultes a fait son chemin en surmontant, finalement avec une certaine aisance, les préjugés auxquels elle se heurtait. Ce n’est pas le cas dans la psychanalyse avec les enfants.
Là aussi Freud avait anticipé une résistance, appelée à durer, non seulement celle due à l’élargissement de l’impact de la sexualité dans toutes les réalisations humaines, mais plus encore celle due à l’extension du concept de sexualité aux enfants. Il notera plus tard l’émergence consécutive du néologisme de pansexualisme.
En avons-nous fini avec cette résistance ? Certainement pas, si nous accordons quelque attention à l’usage avéré du signifiant pédophile sur des jeux sexuels entre enfants, ou quand tel père, parmi mes patients et parfaitement éclairé sur la psychanalyse, s’étonnait du fait de découvrir une activité de ce genre chez son jeune fils, alors qu’il parlait avec lui depuis longtemps du respect de son corps et du corps de son semblable. Cette résistance a pu même apparaître, implicitement, chez certains analystes quand ils se sont impliqués dans l’éducation des enfants. Relevons ici, pour leur caractère qui, à présent nous parait comique, les conseils éducatifs de l’époque par rapport à l’onanisme infantile : pas de sadisme répressif mais éviter les chevaux à bascule, de faire sauter l’enfant à califourchon sur son pied ou sur les épaules…!
Cette évocation s’insère dans un contexte qui a constitué, dans la première moitié du XXème siècle, le plus consistant ensemble de préjugés contre l’avancée de la psychanalyse avec les enfants. Je rappelle brièvement ce contexte : après la fondation de la psychologie de l’enfant par Preyer, juste avant les premiers écrits psychanalytiques de Freud, puis, dans la foulée de la pédagogie de l’enfant, l’émergence de travaux innombrables, en France particulièrement, sur l’enfant. La philosophe et pédagogue Ellen Kay a eu bien raison d’anticiper ce XXème siècle comme celui de l’enfant.
En réalité, ce qui a fait son chemin dans plus de la moitié de ce XXème siècle c’est une prophylaxie idéaliste et scientiste de la santé mentale humaine à partir de celle des enfants. Et là, il peut y avoir débat entre deux extrêmes : « prophylaxie infantile des névroses », pour reprendre le titre d’un article de Marie-Bonaparte, ou, à l’autre bout, les parents en analyse comme le préconise René Lafforgue, qui introduit la notion de névrose familiale. Il n’est pas dit que nous en ayons terminé avec le préjugé prophylactique !
Bref, c’est dans ces années que s’élabore la spécification de La psychanalyse des enfants, titre du fameux livre de Mélanie Klein (1932), et qui aboutira à la généralisation de l’expression d’Anna Freud « l’analyste d’enfants » (1965). Ce préjugé, puissant et courant, d’une telle spécialité en psychanalyse, s’est atténué précisément sous l’influence de Lacan et de son concept de sujet. Il voyait déjà la pente d’un préjugé dans le fait de préciser d’un sujet qu’il soit un enfant. Il a d’ailleurs consacré une partie de sa séance du 10 avril 1957 de son Séminaire La relation d’objet, à nous expliquer que, sur la base des lois du signifiants, les analystes ne doivent pas, par principe – il parle de règle d’or – faire de différences entre enfants et adultes au niveau de l’interprétation.
Il convient ici de remarquer que cette obsession prophylactique – au fond un vrai fantasme collectif – a bel et bien constitué un obstacle dans les textes de langue française de psychanalyse avec les enfants. Il suffit de consulter la Revue française de psychanalyse entre sa création en 1927 et la fin des années 40, pour s’en convaincre : fort peu d’articles sur la psychanalyse des enfants, ce qui contraste avec la littérature anglo-saxonne en la matière. En tout cas, pour ce qui concerne les fantasmes chez les enfants, il faut bien dire que l’ouvrage cité de Mélanie Klein est une mine pour avoir une idée sur ce que l’imaginaire est capable d’inventer à partir du réel pulsionnel de l’enfant et de sa perversion polymorphe. Au contraire, chez Anna Freud, nous avons moins cette profusion mais plutôt l’insistance sur le fantasme comme défense.
Ces deux versants précédents sont particulièrement bien mis en valeur, et ensemble, par Lacan dans son Séminaire La relation d’objet. D’un côté il marque bien la kyrielle des fantasmes du Petit Hans – Lacan parle même d’orgie imaginaire ! – qui, via ce registre, tantôt répondent à des remaniements symboliques, tantôt expriment des tensions pulsionnelles, tantôt encore scandent des événements de sa vie qui le questionnent.
Mais il y a aussi cette lecture du cas qui se resserre au-delà de la symbolisation phobique, de sa fonction métaphorique, et de ses figurations dans l’imaginaire. Une lecture qui amène Lacan à rechercher une sorte de dénominateur commun aux fantasmes foisonnants de Hans où domine l’arrière-plan du sadisme oral. Lacan est alors au début d’une logique de formalisation des fantasmes qui débouchera dans le Séminaire suivant sur l’écriture de la syncope signifiante de sujet devant l’objet pulsionnel, puis sur l’extraction, dans le Séminaire Le désir et son interprétation, du concept de fantasme fondamental… au fond la formule imaginaire axiomatique dans laquelle s’inscrivent tous les fantasmes.
Comme pour la mutation du cri en appel, le choix de jouissance qui, dans le fantasme fondamental, se substitue au « désordre festif » de la perversion polymorphe, n’est pas observable comme tel, sinon déjà effectué ! Quand ? La clinique semble l’indiquer : dans l’enfance ou l’adolescence. Cette 8ème Journée d’étude de L’Institut psychanalytique de l’Enfant du Champ freudien nous apportera de nouveaux éléments de réflexion.