Le symptôme, entre rêves et fantasmes

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L’enfant vient à la rencontre du psychanalyste pour demander qu’on le délivre du symptôme dont il souffre. Les premiers entretiens visent à favoriser une « précipitation du symptôme[1] » en démêlant ce qui inquiète ses parents et ce qui est en cause pour lui. Il s’agit de se centrer sur le « rapport problématique du sujet avec lui-même[2] » afin que sa parole « se tisse, entre énigme et fixation de jouissance[3] » pour faire la lecture de la dimension symptomatique de son existence à partir de ses conflits intimes « tels qu’ils s’articulent entre rêves et fantasmes[4] ».

Vouloir éradiquer le symptôme par des méthodes éducatives ou même thérapeutiques, Freud le déconseille vivement en raison des « altérations psychologiques » et « des modifications de caractère[5] » que cela implique. D’ailleurs, lorsqu’un symptôme est réprimé par « des méthodes violentes[6] », sa disparition n’est qu’apparente. Et surtout, les formations de l’inconscient sont en attente pour le déchiffrer afin de rendre au sujet sa part de vérité. Il y a là un enjeu éthique qui se double pour Freud d’une visée épistémique, par ce désir « d’observer directement chez l’enfant, dans toute leur fraîcheur vivante, ces impulsions sexuelles et ces formations édifiées par le désir[7] ».

Dans le cas du petit Hans, le thème de la 8ème Journée de l’Institut de l’enfant, « Rêves et fantasmes chez l’enfant », met en lumière le fait que sa névrose se déclenche à partir de ses rêves et trouve un certain aboutissement par la voie de ses fantasmes.

Son symptôme phobique se forme à la faveur de rêves qui témoignent de son émoi pulsionnel et de son questionnement sans solution. Tout a commencé, précise Freud, par un rêve d’angoisse : « sa mère était partie et il n’avait plus de maman pour faire câlin[8] ». L’angoisse ne pouvait rester flottante, un symptôme est venu parer à ce réel menaçant : « Hans manifeste la peur tout à fait particulière d’être mordu par un cheval blanc[9] ». Ainsi l’angoisse envahissante s’est-elle muée en peur localisée qui l’empêche de sortir de chez lui : « Il se cramponne, de par sa phobie même, à l’objet de son amour[10] ».

Il cherche, à partir des menus faits de son existence, à élucider son symptôme. Un afflux de significations lui donne des clés, des appuis du côté du sens, mais aussi du côté du non-sens de sa névrose par la mise à jour d’équivoques signifiantes inconscientes qui défait « ce dont le symptôme consiste, à savoir un nœud de signifiants[11] ». Lors d’un jeu, Hans entendait ses amis crier : « c’est à cause du cheval ! », alors qu’ils appelaient les voitures à cheval. Sa confusion entre Wâgen et wegen[12] lui a fourni une cause du chamboulement de son monde libidinal et s’est révélée comme l’origine signifiante de la forme prise par sa phobie.

Dans cette trajectoire qui le conduit du réel vers le symbolique, il « commence à édifier des fantasmes[13] », pour ne pas être confronté au « trou du sujet impliqué par la chaîne signifiante[14] ». Ses fantasmes lui permettent d’accomplir un trajet du réel de l’angoisse de dévoration vers l’accès à des symboles – on pense au fantasme des deux girafes où à celui de la baignoire – car il lui faut « des signifiants qui vont baliser la réalité dans laquelle son corps prend place[15] », jusqu’au fantasme du plombier qui exprime « la victoire de Hans sur sa peur de la castration[16] ».

Ce qu’il a articulé dans ses rêves et dans ses jeux, il l’a mis en scène dans son fantasme final – avoir « d’innombrables enfants qu’il peut soigner à sa guise[17] », donnant une perspective sur son destin mû par le désir « d’engendrer indéfiniment dans son imagination, et de se satisfaire entièrement avec ses créations[18] » au plan artistique.

Mais ce n’est pas sans « fuites » dont Hans reste tributaire. A la fin de son analyse, des questions sont en suspens : où est l’objet a, « cette part réservée du corps où la jouissance peut se réfugier[19] » ? Cet objet qui se faufile entre les signifiants « qui repèrent le regard qui s’isole ou la voix qui se fait entendre[20] » ?

C’est la question en jeu dans chaque analyse d’enfant, pour autant que nous lui donnons sa place, et pour y répondre, il s’agit de distinguer deux registres du fantasme, « d’abord une fonction imaginaire » à laquelle le fantasme ne peut être réduit car « il y a une dimension symbolique[21] », ainsi que le développe J.-A. Miller dans son Cours « Du symptôme au fantasme et retour ».

La dimension imaginaire du fantasme est aisée à repérer chez un enfant car au cours du processus analytique, il se plaît à nous faire partager son théâtre privé en mettant en scène les figures qui peuplent son univers qui sont aussi celles qui hantent ses rêves et ses cauchemars, « indice d’un réel trop présent[22] », ce qu’il ne peut traiter que si l’on différencie le fantasme du moi et, au-delà de « la relation spéculaire à l’autre[23] », « le fantasme du sujet[24] ». Dans ce rapport du sujet divisé à l’objet a, le sujet « se protège du désir de l’Autre par le fantasme[25] ». Alors, « l’interprétation est à faire à partir du manque dans l’Autre[26] », et c’est là que rien ne peut remplacer l’intervention du psychanalyste.

 

 

  1. Miller J.-A., « C.S.T. », Ornicar ? n°29, Le Champ freudien, Navarin, été 1984, p.147.
  2. Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil/Le Champ freudien, 1975, p.39.
  3. Roy D., « Rêves et fantasmes chez l’enfant », p.5, disponible sur le site www.institut-enfant.fr
  4. Ibid.
  5. Freud S., « Le petit Hans », Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1979, p.194.
  6. Ibid., p.176.
  7. Ibid., p.94.
  8. Ibid., p.177.
  9. Ibid.., p.175.
  10. Ibid., p.192.
  11. Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Le champ freudien, Seuil, avril 2001, p.516.
  12. Freud S., « Le petit Hans », opus cité, p.133.
  13. Ibid., p.141.
  14. Miller J.-A., « Du symptôme au fantasme et retour », Cours d’orientation lacanienne 1982-83, séance du 8 décembre 1982, inédit.
  15. Roy D., « Rêves et fantasmes chez l’enfant », p.4, disponible sur le site www.institut-enfant.fr
  16. Freud S., « Le petit Hans », opus cité, p.186.
  17. Ibid., p.174.
  18. Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil/Le Champ freudien, 1975, p.417.
  19. Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La logique du fantasme, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil/Le Champ freudien,
  20. Roy D., « Rêves et fantasmes chez l’enfant », p.4, disponible sur le site www.institut-enfant.fr
  21. Miller J.-A., Cours Du symptôme au fantasme et retour, 1982-83, séance du 3 novembre 1982.
  22. Terrier A., « Se faire un monde », disponible sur le site www.institut-enfant.fr.
  23. Miller J.-A., Cours Du symptôme au fantasme et retour, 1982-83, séance du 17 novembre 1982.
  24. Ibid.
  25. Ibid., séance du 24 novembre 1982.
  26. Ibid., séance du 8 décembre 1982.

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