La fabrique du fantasme

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S’il est communément connu que l’enfant aussi rêve, il est plus difficile d’envisager qu’il fantasme. Et pourtant, c’est avec les souvenirs de l’enfance que les fantasmes vont trouver à se loger. En s’intéressant à l’amnésie infantile, Freud va concevoir le souvenir-écran. Dès le début[1], il s’intéresse à la bizarrerie du fonctionnement mnémonique. Comment comprendre ce phénomène de l’amnésie infantile alors que l’enfant entre trois et quatre ans « est capable d’un travail intellectuel très intense et d’une vie affective très compliquée[2]  » ?

Le premier souvenir se situe le plus souvent entre l’âge de deux et quatre ans, en lien avec un affect tel la douleur, la peur, la honte ou un événement marquant (maladie, mort ou naissance)[3]. Mais Freud note que les « souvenirs d’enfance qui ont été conservés doivent porter témoignage des impressions sur lesquelles porte l’intérêt de l’enfant, à la différence de celui de l’adulte[4] » et ainsi les souvenirs d’enfance sont parfois étonnants de détails et leur caractère anodin cache une profusion de significations[5].

Freud, se remémorant ses souvenirs d’enfance nous en livre un très précieux. Il se voit alors âgé de trois ans environ hurler devant un coffre alors que sa mère belle et svelte entre dans la pièce. Le demi-frère de vingt ans plus âgé tient le couvercle relevé. Il se questionne : « Mon frère voulait-il ouvrir ou fermer le coffre[6] » et il poursuit : « Pourquoi avais-je pleuré à ce propos ? Quel rapport y avait-il entre tout cela et l’arrivée de ma mère ?[7] » Avec l’analyse de lexpression « coffrer » s’éclaire ce souvenir denfance : « M’étant aperçu de l’absence de ma mère, j’avais soupçonné qu’elle était enfermée dans le coffre […] et j’avais exigé de mon frère d’en soulever le couvercle. Lorsqu’il eut accédé à ma demande et que je me fus assuré que ma mère n’était pas dans le coffre, je me mis à crier.[8] » Puis avec ce cri, sa mère apparaît, l’enfant est rassuré. Mais pourquoi l’avait-il cherchée dans ce coffre ? À cette époque, l’enfant rêvait souvent de sa bonne d’enfants. Il se souvient qu’il devait lui remettre la monnaie qu’il avait reçue en cadeau. Le petit Sigmund questionne son frère sur la disparition de cette bonne à laquelle il était attaché. Il lui avait répondu qu’elle avait été « coffrée ». Intrigué par ce souvenir, Freud interroge sa vieille mère. Il apprend que cette femme avait commis de nombreux vols et qu’elle avait été arrêtée suite à la plainte du grand frère. Et Freud explique alors sa réaction d’enfant : « Lorsque ma mère s’absenta quelques temps après, je me mis en colère, et convaincu que mon frère lui avait fait la même chose qu’à la bonne, j’exigeai qu’il m’ouvrît le coffre.[9] » Ainsi que l’explique Freud, l’expérience vécue par l’enfant suit la voie associative par contiguïté et s’appuie sur un « pont verbal.[10] » Au sujet du souvenir prégnant de la sveltesse de sa mère dans cette scène d’enfance, il se remémore qu’ « elle m’était apparue comme suite à une résurrection.[11] » En effet, sa mère avait été enceinte puis avait accouchée dans cette période puisque Freud précise qu’il a deux ans et demie d’écart avec sa sœur.

Parfois donc le vécu de l’enfant, ne tombe pas sous le coup de l’amnésie infantile et s’inscrit comme un souvenir d’enfance remanié via le processus du déplacement. Il arrive aussi que « les souvenirs d’enfance n’ont pas émergé [] mais c’est alors qu’ils ont été formés [12] », tels des « trésor[s] de souvenirs » qui logent le fantasme[13]. En voici la preuve avec cette scène d’un enfant âgé de deux à trois ans jouant dans une prairie avec son cousin et sa cousine. Ils cueillent des fleurs et chacun tient un bouquet. « C’est la petite fille qui a le plus joli bouquet ; mais nous, les garçons, nous lui tombons dessus comme d’un commun accord et lui arrachons ses fleurs.[14] » Cette scène qu’a vécue Freud lui parait à la fois « indifférente et sa fixation incompréhensible[15] », notamment le jaune des fleurs qui insiste. Après une analyse très fouillée, se dévoile la fabrique du fantasme. Freud nous explique le processus de la « genèse du fantasme[16] » un souvenir d’enfance est réveillé à l’adolescence. Ici le souvenir d’ôter les fleurs à une petite fille est relu par le désir sexuel réprimé de la défloration d’une jeune fille. Freud indique que « la phrase demeurée inconsciente est poussée, […] à se changer en une scène d’enfance, qui a le droit grâce à son innocence, de devenir consciente ; pour cela elle doit subir une nouvelle transformation.[17] » souvenir fait écran à la pulsion sexuelle qui se devine avec ce jeu sur le signifiant « déflorer.[18] » Ainsi le fantasme sexuel inconscient s’esquive dans le souvenir d’enfance […] : « on jette un voile, on dit la chose avec des fleurs.[19] »

La fabrique du fantasme, jouant de l’homophonie du langage, a pour matériel le sens double qui révèle les effets du signifiant. Le fantasme trouve une cachette dans le souvenir-écran grâce aux modalités de constructions que l’inconscient emprunte au poème[20]. Freud n’avait-il pas indiqué de « rechercher chez l’enfant déjà les premières traces de l’activité poétique[21] » ?

 

 

[1] Freud publie en 1898 un article « Sur le mécanisme psychique de l’oubli », cf. Résultats, idées, problèmes, t. 1, Paris, PUF, 1984.

[2] Freud S., Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Payot, 1967, p58.

[3] Freud cite une enquête réalise par deux psychologues de son époque. Henri C. et V., « Enquête sur les premiers souvenirs de l’enfance », L’année psychologique, vol. 3, 1896, p. 184-198, disponible sur le net.

[4] Freud S., « Sur les souvenirs-écrans », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p115.

[5] Cf. ibid., p. 119.

[6] Freud S., Psychopathologie de la vie quotidienne, op. cit., p. 62.

[7] Ibid.

[8] Ibid., p62-63.

[9] Ibid., p. 63.

[10] Ibid., p. 62.

[11] Ibid., p. 64.

[12] Freud S., « Sur les souvenirs-écrans », op.cit., p. 132.

[13] Ibid., p. 130.

[14] Ibid., p. 121.

[15] Ibid.

[16] Ibid., p. 127.

[17] Ibid.

[18] Ibid., p. 126.

[19] Ibid.

[20] Ibid., p. 125.

[21] Freud S., « La création littéraire et le rêve éveillé », Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1933, p70.

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