« Ce noir qui me regarde »

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Comment entendre l’usage du terme de fantasme dans le cas du petit Hans[1]  ? Quelle différence entre rêve et fantasme dans ce texte ? L’usage fait de ce terme de « fantasme » n’a pas la structure du fantasme tel que Freud le définit dans son texte « On bat un enfant ».

Les rêves sont peu nombreux dans ce cas. Il y a celui du début où il rêve d’être tout seul avec Marield[2], celui du rêve d’angoisse où il s’agit du départ de sa mère, annonciateur de la survenue de la phobie[3]. Après le déclenchement de la phobie, il y a ce qu’il vient raconter à 6 heures du matin dans un grand état d’angoisse que Freud commente ainsi : « Tout ceci n’est pas un rêve, mais un fantasme d’onanisme, d’ailleurs équivalent à un rêve.[4] »

Fantasme /rêve diurne

Dans la suite, Freud ne parle plus de rêve, mais de fantasme. Dans un texte postérieur à L’Interprétation du rêve, il reprend la notion de « rêve diurne » qu’il avait introduite pour préciser l’élaboration secondaire dans les rêves, qui qualifie cette proximité entre rêve et fantasme : « Ces fantasmes sont des satisfactions de désir, issues de la privation et de la nostalgie ; ils portent à juste titre le nom de “rêves diurnes” car ils donnent la clé pour comprendre les rêves nocturnes, dans lesquels le noyau de la formation du rêve n’est constitué par rien d’autre que de tels fantasmes diurnes, compliqués, déformés et compris de travers par l’instance psychique consciente.[5] »

Comment alors préciser ce qu’il peut en être du fantasme au sens où Lacan nous l’indique dans le Séminaire XIV : « le fantasme a deux caractéristiques – la présence d’un objet a, et d’autre part, rien d’autre que ce qui engendre le sujet S, à savoir, une phrase[6] ».

Que peut-on repérer dans le cas du petit Hans qui aurait cette structure ?

Les effets produits par l’interprétation de Freud se font vite connaître. Il apprend à se mouvoir dans cette nouvelle réalité qu’est pour lui l’espace de la phobie depuis que la sécurité essentielle que lui donnait sa mère a vacillé. Il commence à faire quelques pas, à se déplacer.

Un signifiant va émerger « loumf », un autre va revenir « noir ». L’association entre « Loumf » et « noir » n’est pas immédiate.

Le signifiant « noir » est évoqué une première fois dans le bureau de Freud : « il était particulièrement gêné par ce que les chevaux ont devant les yeux et par le noir qu’ils ont autour de la bouche[7] », puis à propos de la moustache noire du père. Ce noir sur la bouche du cheval revient ensuite dans les échanges avec le père mais il ne se laisse pas facilement décrire.

Le 9 avril, le père lui parle à la suite d’une visite qu’il a faite à Freud où il aurait été question du « charivari avec ses pieds ». Hans l’interrompt : « N’est-ce pas quand je suis en colère ou bien “quand il faut que je fasse loumf, et que j’aimerais mieux jouer”[8] ». C’est la première occurrence de ce signifiant dans les propos de Hans.

Le père précise que Hans dit un jour en se levant du vase lorsqu’il était petit : « Regarde le Loumf (en allemand lumpf)[9] ». Le père précise que « loumf », c’est « le bas (en allemand Strumpf) à cause de la forme et de la couleur[10] ».

La mère fait retour dans le discours de Hans dans la suite de cet échange avec le père. C’est la séquence où il est question des réactions de Hans à l’égard des culottes de la mère.

Comme Freud, Lacan nous invite à être attentif à ces propos de Hans, cette différence qu’il y a pour lui entre le fait que sa mère porte ou ne porte pas les culottes. Il crache quand il les voit mais pas quand il ne la voit pas, quand elle les porte. Le voile mis sur le phallus qui n’existe pas, voilà ce dont il s’agit, voilà l’élaboration qui advient.

Comment situer ce signifiant « noir » ?

Freud met plutôt l’accent sur le lien du loumf avec la fonction excrémentielle. Lacan développe une lecture différente. L’apparition de cette question est liée à un point précis : c’est la participation admise par la mère aux fonctions excrémentielles de celle-ci. « le loumf, c’est-à-dire l’excrément, intervient toujours dans une certaine fonction de l’articulation signifiante en relation avec le thème du vêtement, du voile, derrière quoi est cachée l’absence niée du pénis de la mère. Voilà […] la signification essentielle[11] ».

Voiler permet de soutenir le leurre du phallus. Il faut que ce point tienne pour que la vie (re)devienne supportable. Autrement, c’est la chute. « Le loumf, comme les culottes, est quelque chose qui peut tomber. Le voile tombe, et c’est dans la mesure où le voile est tombé qu’il y a un problème pour le petit Hans.[12] » Ce point est particulièrement important pour étayer l’idée de la construction du fantasme. Lacan indique l’implication du sujet : « Ce voile, si je peux dire, il en relève le pan, puisque c’est en fonction de l’expérience du 9 avril, de la longue explication sur les culottes que nous verrons apparaître ensuite le fantasme de la baignoire, c’est-à-dire l’introduction d’un élément qui a le plus étroit rapport avec la chute.[13]»

« Il en relève le pan » : cette indication valorise la décision du sujet, ce moment où Hans n’est pas du côté de la chute mais se défend. Il répond en prenant position face à l’attraction de la jouissance pour affronter ce qui est au cœur de ce qui lui fait problème : le rapport à la mère phallique.

Ce noir qui le regarde, le pousse à faire loumf, il le dit à son père, le 12 avril en revenant de Lainz où il est allé voir sa grand-mère. Les coussins du train sont recouverts de cuir noir. « Fi ! ça me fait cracher ! Les culottes noires et les chevaux noirs, me font aussi cracher, parce que je dois faire loumf.[14] » Il fait le lien entre ces deux signifiants « loumf » et « noir », entre ce qui regarde le sujet et ce qui doit rester voiler.

Si dans le temps qui précède la phobie et dans les semaines qui suivent son début, le « voir » et « ne pas voir » avait une consistance imaginaire, ne peut-on pas dire qu’une mutation s’est produite ? Un objet s’isole qui est hors de la dimension spéculaire, le regard, ce noir qui est là présent pour le sujet mais reste énigmatique. Le voile est en soi une façon de s’en défendre.

Ce qui se décide alors laissera des traces. C’est ainsi que j’entendrai les premières paroles de l’interview d’Herbert Graf par un journaliste de la revue Opera News publiée dans le magazine L’Âne : « J’ai toujours pensé que le metteur en scène est, ou devrait être, “l’homme invisible” de l’opéra. La vraie nature de son travail est de rester dans les coulisses et de laisser en lumière le travail lui-même.[15] »

L’homme invisible dit bien quelque chose du rapport au regard. Le fantasme a fait écran au réel. Herbert Graf s’est satisfait de ce résultat, il ne l’a pas interrogé. Le voile ne s’est pas déchiré.

  1. Freud S., « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans (Le petit Hans) », Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 2003, p. 93-198.
  2. Ibid., p.  99.
  3. Ibid., p. 106.
  4. Ibid., p. 113.
  5. Freud S., « Les fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité » (1908), Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1978, p. 150.
  6. Lacan J., Le Séminaire, livre xiv, La Logique du fantasme, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2023, p. 419.
  7. Freud S., « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans (Le petit Hans), op. cit., p. 120.
  8. Ibid., p. 129.
  9. Ibid.
  10. Ibid.
  11. Lacan J., Le Séminaire, livre iv, La Relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1994, p. 357.
  12. Ibid.
  13. Ibid.
  14. Freud S., « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans (Le petit Hans), op. cit., p 139.
  15. Graf H., « Mémoires d’un homme invisible », L’Âne, n°57-58, Paris, été 1994, p. 62.
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