Une feuille devient fenêtre

C’est avec l’expérience de la cure et du contrôle, croisée avec l’enseignement de Lacan, J.-A. Miller et quelques autres, que nous tentons, lors d’un atelier hebdomadaire dans une institution orientée par la psychanalyse, de nous débrouiller avec la jouissance qui traverse les corps de quelques sujets accueillis.

Cet atelier pour y « écrire, dessiner, lire », ainsi est-il présenté aux jeunes, constitue un temps et un lieu qui reviennent chaque semaine : le retour du même permet dans l’après-coup de repérer ce qui revient et ce qui varie dans les productions d’un sujet.

L’atelier se présente comme une fenêtre découpée dans le temps et l’espace, et comme une fenêtre encadrant la substance jouissante qui sinon file, fuit, glisse ou qui au contraire est compacte, gelée. L’invitation à participer à l’atelier constitue une offre qui nécessite de se décrocher de ce qui se jouit, de consentir à se laisser entraîner par le mouvement des mots et du corps de l’intervenant, de franchir des seuils, de poser le corps devant un peu de matériel disposé sur quelques tables dans l’une ou l’autre pièce voisine. Petit-à-petit, pour chacun.e, le volume sonore et le champ visuel se réduisent et s’orientent sur une feuille choisie (blanche, quadrillée, prête au coloriage ou à être lue).

Au cours de cet espace-temps suspendu de la séance d’atelier, chacun.e est à la tâche de déposer, extraire, mettre en forme l’informe jouissance qui le traverse sur une feuille qui devient fenêtre du fait de ce qui s’y produit.

Pour certains, le support de l’écran de l’ordinateur ou du téléphone portable prêté sur lequel apparaît l’image d’un personnage choisi est nécessaire au dessin à main levée. Les uns sont à la tâche sans que la proximité du corps accompagné de quelques mots de soutien de la part de l’intervenant soient requis. D’autres se mettent au travail grâce à un petit coup de pouce de l’intervenant ou d’un.e stagiaire.

Dans ses dessins et écritures, une jeune témoigne d’un rapport au corps morcelé, mais qui se trouve rassemblé dans cette fenêtre qu’est la feuille de papier. Certains de ces bouts de corps dessinés peuvent être ensuite par elle identifiés et nommés, d’autres pas. Ses productions disent aussi que c’est avec l’Autre qu’elles ont été réalisées : son écriture toute singulière inclut le « et » et détache le « criture ».

Telle autre qui se sent d’ordinaire particulièrement visée par le regard, concentre sur la feuille le dessin d’un visage au regard perçant mais déplacé, localisé et cadré.

Un jeune garçon, très ironique dans son rapport à l’Autre, se défend de la moindre manifestation de désir : il compte les petits carreaux pour dessiner, à l’identique que sur un tuto, un Spiderman pixelisé. L’écran que constitue le modèle fait écran au désir de l’Autre, puis devient fenêtre quand il dessine sur la feuille ce personnage. Constitué différemment grâce à son dessin, ce jeune ne se trouve pas à grimper sur les murs de l’institution.

Une autre participante enfin, qui trouve que tout ce qu’elle produit est « nul » colorie des princesses, habillant ainsi autrement ce « nul ». Elle choisit des princesses dont une lettre du prénom la relie au sien, ce que nous relevons, qui la fait sourire, et lui donne pour un temps une autre image d’elle-même.

Si la feuille devient fenêtre au travers de laquelle se présente ici l’objet, là un corps, pas simple cependant de passer à la fiction en tant que petite élaboration symbolico-imaginaire. Néanmoins, unetelle qui dessine son « ressenti » au moyen du même animal, peut ensuite déplier ses préoccupations amoureuses : il ne s’agit pas de pousser au délire ni de rejoindre ce qui se déroule dans ses pensées, mais de circonscrire un petit temps d’énonciation adressé à l’intervenant.

Il nous arrive également de prendre en photo certaines productions, mettant en valeur, pour le sujet en jeu, le beau réalisé : un beau qui n’a de sens que du côté d’un autre usage de la jouissance, un usage hors-sens, hors-normes, singulier. La jouissance ainsi déplacée, bordée, sur le fil d’un trait, d’un tracé, d’un contour, d’une écriture touche, fait mouche chez l’intervenant.

Feuille, fenêtre, forme, fiction, fil, foto : autant de signifiants suffisamment nettoyés du fantasme de l’intervenant, au plus près de la lettre, de son écriture, de sa sonorité, pour aller à la rencontre de ce qui (se) jouit chez un autre parlêtre.

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