« Marcel le magicien »

Lacan, dans « La science et la vérité[2]» inscrit la magie comme l’une des quatre conditions fondamentales de la vérité comme cause, avec la religion, la science et la psychanalyse. L’incidence du signifiant y prend des formes différentes selon le mode de cause appliqué à chacune de ces conditions.

Faute de savoir repérer dans quel champ opère cette incidence du signifiant sur les symptômes et sur le corps, Lacan nous met en garde de « n’être pas loin de considérer […] comme magique [3] » l’action du psychanalyste.

Cependant, il « faut rappeler, indique J.-A. Miller, que, à la fin de son enseignement, Lacan n’hésitait pas à se demander si la psychanalyse – quand il n’avait déjà plus l’ambition de la rendre scientifique – ne serait pas une sorte de magie. Il le dit une seule fois, mais c’est un écho à considérer. [4]» Il ajoute que la « rencontre de lalangue et du corps ne répond à aucune loi préalable ; elle est contingente et toujours perverse. C’est cette rencontre et ses conséquences […] qui sont ce qui reste vivace comme rêve.[5] »

Cette vivacité est au cœur des rêves et fantasmes chez l’enfant.

Avec Marcel le magicien, texte bref accompagné d’images d’un graphisme remarquable, Anthony Browne nous permet d’en apercevoir quelque chose.

Marcel, le chimpanzé, adore le foot, mais le problème est qu’il n’a pas les chaussures. À l’entraînement, dans une équipe de gorilles, personne ne lui passe le ballon et il n’est jamais choisi pour faire partie de l’équipe.

Il lui arrive une rencontre étrange, quasi hallucinatoire de quelqu’un portant un équipement de foot – comme celui qu’avait son père – et qui va délacer ses chaussures et les lui tendre.

Il va alors s’appliquer à les rendre comme neuves.

Marcel a de nombreux rituels conjuratoires d’un possible malheur. Non seulement cette nécessité, classique, de ne pas marcher sur les lignes du trottoir, mais aussi une organisation très minutée et calculée de son coucher dont voici l’une des contraintes : « il alla aux toilettes et il plongea sur son lit (Il devait être au lit avant que la chasse d’eau finisse de couler, car sinon, il arriverait sûrement un malheur.) ». Il ne s’y permet aucun écart.

Avec les fameuses chaussures, il va épater ses coéquipiers et être retenu pour le prochain match. Il se dit que ses chaussures étaient magiques.

Très excité la veille du match, il ne rêve que de catastrophes. Effectivement tout se dérègle, au point qu’il constate avec horreur au dernier moment qu’il avait oublié ses chaussures ! On lui en donne d’autres.

Alors que son équipe perd face à l’équipe adverse, sans plus réfléchir, il se met à courir avec le ballon au pied. « Marcel était magique ». Il subjugue ses adversaires et fait gagner son équipe avec une énergie surprenante. C’est ainsi qu’il est qualifié de magicien.

La dernière image du livre montre qu’il peut passer sous une échelle et marcher sur la ligne du trottoir, sous la protection de l’étranger qu’il avait cherché à revoir mais en vain. « Et il sourit. »

Où est la magie dans cette affaire ? Car plutôt que de se demander qui serait le vrai magicien – le père esquissé, les chaussures ou Marcel lui-même – nous pourrions envisager ce qui a magiquement opéré pour que cessent les nécessaires conjurations d’un malheur, et pour que Marcel, allégé de sa mortification, puisse sourire.

Une lecture lacanienne de Marcel le magicien nous amènerait à y voir l’efficacité du signifiant « chaussures » dans tout son trajet, signifiant porteur de magie au-delà de la réalité objective.

Bien sûr, cela se combine aussi avec la permission accordée par une figure paternelle, mais encore faut-il que l’enfant en fasse quelque chose.

 

 

[1]Anthony Browne, Marcel le magicien, L’école des loisirs.

[2]Lacan J., « La science et la vérité », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 876.

[3]Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, p. 240.

[4]Miller J.-A., « Le réel au XXIème siècle », La Cause du désir, n° 82, octobre 2012, p. 91.

[5] Ibid., p. 93.

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