Un traitement institutionnel du rêve et du fantasme est-il possible ? Cette question en suppose une autre, elle, silencieuse et pourtant première : d’où lit-on un rêve, un fantasme ? L’institution est-elle un lieu d’où lire le fantasme et le rêve ? Ce n’est pas notre hypothèse ; quand bien même l’institution en question s’orienterait de l’Autre réglé, voire de l’Autre qui n’existe pas.
Tout le monde délire[1]
Cette indication de Lacan peut s’entendre ainsi : face au réel, tout le monde répond et cette réponse est forcément délirante. Lacan qui a fondé son premier enseignement sur le primat du Nom-du-Père comme garant de l’ordre symbolique ravale celui-ci, après l’avoir repoussé dans ses retranchements, à une manière de délirer c’est-à-dire d’être à côté de la plaque. Cette manière plus ou moins privilégiée de délirer prend la forme du fantasme qui voile le réel du non-rapport sexuel, quand on délire au Nom-du-Père. Mais elle n’est pas la seule, le rêve, la fantaisie, tout autant que l’hallucination sont aussi des modalités de réponse à ce réel.
Que faire dès lors de ce qui apparaît, à l’occasion, comme rêve, comme fantaisie diurne chez tel jeune pour « introduire le patient à un premier repérage de sa position dans le réel[2] » ? Ce fil nous oblige à reformuler notre question à partir du d’où lire ? La réponse se formule de ma propre expérience d’analysant qui s’est fait dupe d’un réel dont j’ai seul, sans Autre, la responsabilité et qui s’itère dans mon existence en échappant à toute interprétation. Alors seulement, il y a une chance que, malgré l’institution, le bout de réel inouï et intransposable de tel enfant et pas de tel autre trouve une adresse, un destinataire dans l’institution.
D’où lire un rêve
Le rêve n’a que faire des catégories cliniques et ainsi nous parait plus approprié que le fantasme pour tenter de frayer la voie à une réponse à notre question. Cette réponse, nous tenterons de ne pas la laisser aller du côté de la sagesse clinicienne qui voudrait que l’on ne fasse rien du rêve d’un sujet psychotique par exemple, sinon à le déclencher. Notre fil du « tout le monde délire » nous l’interdit sinon à nous contredire. Pour cela, la proposition de Lacan – encore structuraliste mais engageant la destitution du Nom-du-Père dans le séminaire XI – va nous servir.
Reprenons ici la fabuleuse lecture du rêve de l’enfant qui brûle, ce rêve où le rêveur entend son fils récemment disparu lui adresser un « Ne vois-tu pas, père, que je brûle ? [3]», alors même que le petit cadavre est réellement en train de brûler dans la pièce à côté. Lacan nous invite à voir au-delà du rêve : « Père, ne vois-tu pas, je brûle. Cette phrase elle-même est un brandon – à elle seule, elle porte le feu là où elle tombe – et on ne voit pas ce qui brûle, car la flamme nous aveugle sur le fait que le feu porte sur l’Unterlegt, sur l’Untertragen, sur le réel. [4] » C’est au-delà du rêve comme réalisation d’un désir que nous avons à porter notre attention pour nous attacher au réel inarticulable, rétif à tout traitement que voile le rêve, mais aussi le fantasme et l’hallucination. Au-delà de toutes classes cliniques il y a à lire, non pas tant le rêve que « ce qui s’en dit [5] », averti que pour certains le signifiant est le meurtre de la chose et pour d’autres, beaucoup moins.
Conclusion
Il ne s’agit pas tant de savoir si l’institution peut traiter le rêve et le fantasme mais de quelle manière elle n’interdit pas la lecture par le patient de ses rêves et à l’occasion de son fantasme en tant qu’ils se référent, tout en s’en distinguant, à un réel trans-clinique et toujours inouï. Alors peut-être une saisie de ce qui s’itére dans l’existence sera possible afin de « cerner le signifiant comme phénomène élémentaire du sujet, et comme d’avant qu’il ne soit articulé dans la formation de l’inconscient qui lui donne sens de délire. [6] »
[1].Cf. Lacan J., « Journal d’Ornicar ? », Ornicar ?, no 17-18, printemps 1979, p. 278.
[2].Lacan J., « La direction de la cure », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 596.
[3].Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 35.
[4].Ibid., p. 58.
[5].Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 88.
[6].Miller J.-A., « L’interprétation à l’envers », La Cause freudienne, no 32, février 1996, p. 7.